Non-binarité : la ville voit encore double

Difficultés pour se loger, insécurité, malaise admi­nis­tra­tif, les per­sonnes non binaires et trans­genres font sou­vent l’expérience d’une urba­nité peu inclusive.

Colette Voi­not vit à Paris depuis seule­ment trois mois et a déjà repéré les lieux « à éviter ». La sta­tion de métro Châtelet en tête : « Je n’aime pas, c’est ici que je reçois le plus de cri­tiques et d’insultes », précise la jeune femme de 19 ans. Il y a quelques années, elle a pris conscience que le genre mas­cu­lin, qui lui a été assigné à la nais­sance, n’était pas le sien. « Je veux qu’on uti­lise le pro­nom “elle”, je suis une femme », insiste celle qui a gran­di à Tou­louse. Depuis qu’elle est trans­genre, elle ne perçoit pas l’espace urbain de la même manière. Dans l’imaginaire col­lec­tif, la ville est pour­tant considérée comme émancipatrice pour la com­mu­nauté LGBTQI+, du fait de sa den­sité. Marianne Bli­don, maître de conférences à l’Institut de démographie de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (IDUP), nuance : « Ce n’est pas si évident, car on constate une concen­tra­tion des actes trans­phobes dans les métropoles. »

La ville est-elle binaire ?

« Elle est pensée par des hommes cis­genres et hétérosexuels », répond Karine Duplan, géographe à l’université de Genève. « C’est un vrai problème de cir­cu­ler dans la ville pour les per­sonnes trans et non binaires, car les espaces sont pro­duits de manières hétéronormatives.» L’exemple le plus fla­grant, selon elle, est l’accès aux toi­lettes publiques. D’un côté, les femmes aux caractères bio­lo­giques féminins; de l’autre, les hommes, aux caractères bio­lo­giques masculins.

Au début, Colette avait l’impression « de gêner » les autres uti­li­sa­trices, puis elle s’est habituée. En revanche, pour les non-binaires (ni homme, ni femme) ou les inter­sexes (né·es avec des caractéristiques sexuelles qui ne cor­res­pondent pas aux définitions d’un type de corps – féminin ou mas­cu­lin), la situa­tion est plus incom­mo­dante. Cela montre que « la ville n’est pas acces­sible aux besoins pri­maires », ajoute Karine Duplan. Même constat dans les infra­struc­tures spor­tives, où les ves­tiaires sont divisés en deux catégories. Ces espaces d’exposition des corps sont également pro­pices aux juge­ments et aux dis­cri­mi­na­tions. Avant sa tran­si­tion, Colette ado­rait se rendre à la pis­cine muni­ci­pale : « Je pre­nais des cours de nata­tion, ça me per­met­tait de me res­sour­cer. » Mais elle a préféré y renon­cer. « Ça me met trop mal à l’aise, il y a des regards indis­crets dirigés vers le bas. » En revanche, cette étudiante dans le sec­teur de la mode ne peut pas éviter les ser­vices publics et doit à chaque fois être confrontée à son genre d’assignation à la nais­sance. « Tout ce qui est papier, c’est dérangeant », témoigne la jeune femme, actuel­le­ment en procédure pour chan­ger de nom à l’état civil. Chez le médecin, à la poste ou à la mai­rie, son dead name, c’est‑à-dire le prénom que lui ont donné ses parents, est encore par­tout. « Je déteste qu’on m’appelle “Mon­sieur”, c’est comme si on m’affichait à la vue de tout le monde », se désole-t-elle.

Emma Conquet 

Pho­to­gra­phie : Le pro­jet de Mai­son de la diver­si­té, à Lyon, qui ouvri­ra fin 2024 à La Croix-Rousse, dans le 4ème arrondissement

Lire la suite dans le numé­ro 429

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


À pro­pos

Depuis 1932, Urba­nisme est le creu­set d’une réflexion per­ma­nente et de dis­cus­sions fécondes sur les enjeux sociaux, cultu­rels, ter­ri­to­riaux de la pro­duc­tion urbaine. La revue a tra­ver­sé les époques en réaf­fir­mant constam­ment l’originalité de sa ligne édi­to­riale et la qua­li­té de ses conte­nus, par le dia­logue entre cher­cheurs, opé­ra­teurs et déci­deurs, avec des regards pluriels.


CONTACT

01 45 45 45 00


News­let­ter

Infor­ma­tions légales
Pour rece­voir nos news­let­ters. Confor­mé­ment à l’ar­ticle 27 de la loi du 6 jan­vier 1978 et du règle­ment (UE) 2016/679 du Par­le­ment euro­péen et du Conseil du 27 avril 2016, vous dis­po­sez d’un droit d’ac­cès, de rec­ti­fi­ca­tions et d’op­po­si­tion, en nous contac­tant. Pour toutes infor­ma­tions, vous pou­vez accé­der à la poli­tique de pro­tec­tion des don­nées.


Menus