Au sein des diplômés des grandes écoles, dont certains piloteront demain la fabrique de la ville, émerge une « génération climat » qui refuse désormais de travailler pour des entreprises non respectueuses de l’environnement. Allant jusqu’à remettre en cause leur enseignement, mais aussi leur avenir, ces jeunes sont prêts à opérer un changement radical de carrière.
Il y a encore dix ou vingt ans, la plupart des jeunes diplômés des grandes écoles d’ingénieurs ou de commerce se seraient lancés tête baissée dans une carrière au sein de grands groupes internationaux, attirés par des salaires avantageux et des perspectives d’évolution constante. Aujourd’hui, certains membres de ces jeunes élites, angoissés par un futur environnemental bien sombre, sont de plus en plus nombreux à remettre en question – parfois de façon radicale – leurs potentiels employeurs lorsqu’ils les considèrent, au mieux, comme non engagés dans la transition écologique, au pire, comme responsables de la dégradation de l’environnement.
C’était le 23 novembre dernier à Léonard:Paris. Lors du débat « Jeunes diplômés, entreprise et climat : la révolte gronde-telle ? », organisé par le Managing Director Julien Villalongue, étudiants et dirigeants de grandes écoles ont échangé sur ce phénomène grandissant. La table ronde a démarré avec la projection du documentaire Ruptures, d’Arthur Gosset, diplômé de Centrale Nantes, ayant suivi pendant un an, avec sa caméra, le parcours de diplômés qui ont rompu avec un parcours tout tracé afin de s’engager de manière très concrète pour l’environnement.
De l’avis d’Arthur Gosset, le déclic s’est produit pour beaucoup de ces jeunes en 2018, année du lancement du manifeste Pour un réveil écologique, qui a recueilli 35 000 signatures d’étudiants et appelait les formations et les entreprises à être à la hauteur du défi climatique. Ces jeunes, selon le manifeste, doivent agir « à l’intérieur et à l’extérieur des universités, des écoles et des entreprises pour faire bouger les lignes et accorder leurs aspirations à leurs carrières ».
Cette même année, le discours de Clément Choisne a également connu un fort retentissement dans le monde estudiantin ; lors de la remise des diplômes de Centrale Nantes, cet ingénieur a interpellé sur scène le directeur de son école : « Je pense que vous vous trompez sur la vision que vous avez de la transition écologique et les moyens que vous y attribuez […] Il n’est pas trop tard pour faire de Centrale Nantes un laboratoire de solutions techniques, sobres et durables, de changer la donne, de coconstruire un futur souhaitable où l’argent n’est plus la seule valeur. » Cet aplomb motivé par un sentiment de révolte est loin d’être un cas isolé. On le retrouve de plus en plus fréquemment, de plus en plus ouvertement, dans les propos des élites en herbe, dont celles qui seront amenées à fabriquer la ville demain.
2018, année zéro de la « génération climat »
Corroborant les propos d’Arthur Gosset, la journaliste du Monde Marine Miller, autrice de La Révolte, enquête sur les jeunes élites face au défi écologique (Le Seuil, 2021), affirme que l’année 2018 est « l’année zéro » de cette « génération climat » qui, comme le rappelle Julien Villalongue, sera « la première à subir directement et de son vivant les conséquences du changement climatique ». Car 2018, c’est aussi l’année de la grève scolaire de la Suédoise Greta Thunberg, alors âgée de 15 ans. Au même moment, chez nous, on assistait sur les ondes de France Inter à la démission en direct de Nicolas Hulot de son poste de ministre de la Transition écologique. « Cet évènement politique a marqué quasiment tous les gens que j’ai rencontrés pour mon livre, assure Marine Miller.
Pour eux, cette démission signifiait : “Si lui ne peut rien faire, comment allons-nous pouvoir changer les choses en entrant dans les entreprises ? » Enfin, 2018 est également l’année la plus chaude jamais enregistrée en France depuis cent ans, avec plusieurs épisodes de canicule le même été, des inondations, sans oublier les incendies géants de Californie…
Mais cette fronde étudiante est-elle un véritable mouvement de fond ? Et comment quantifier son ampleur ? « À part le manifeste, on n’avait pas beaucoup d’indicateurs, rappelle Marine Miller. Mais on a tout de même 35 000 étudiants qui appellent clairement à la désertion. C’est un signal faible qui va prendre de l’ampleur dans les années à venir. » Pour mettre ce nombre de signataires en perspective, la journaliste rappelle que, chaque année, 85 000 étudiants passent par les classes préparatoires aux grandes écoles – et invite les chercheurs à aider à quantifier ce phénomène.
Photo : Des jeunes manifestent pour le climat, à Marseille (2019) © Gérard Bottino/Shutterstock