Venise ne veut plus du monde d’avant

En Eras­mus à Venise depuis un an, les étu­diants Ismaël Bout­tier (Ins­ti­tut d’aménagement des ter­ri­toires, d’environnement et d’urbanisme de Reims – Iateur) et Nico­las Tri­caud (Ensa Paris-Bel­le­ville), membres du Col­lec­tif natio­nal des jeunes urba­nistes (CNJU), racontent leurs échanges dans la cité des Doges avec les habi­tants, dans un contexte post-Covid, entre retour des tou­ristes et recherche d’un modèle durable pour la lagune.

Ville du rêve, de la folie archi­tec­tu­rale et de la perte de repères, sui­vant une confi­gu­ra­tion qu’on ne retrouve nulle part ailleurs, Venise est unique. Y vivre un an per­met d’en décou­vrir les strates une à une, d’arriver tou­riste et de repar­tir en se croyant presque véni­tien. Cette évo­lu­tion nous a per­mis d’appréhender une ville à l’identité unique, mais dont les pra­tiques et per­cep­tions sont duales, sinon mul­tiples : nous, habi­tants de pas­sage, pra­ti­quions déjà une ville dif­fé­rente de celle des masses venues la décou­vrir pour quelques jours ou quelques heures.

La dua­li­té nous est d’abord appa­rue dans l’espace : le tou­riste suit un par­cours bali­sé, fait pour lui, signa­lé par la muni­ci­pa­li­té, mais aus­si creu­sé comme le lit d’une rivière par les 25 mil­lions de visi­teurs annuels qui foulent les pavés d’un même par­cours. De la gare de San­ta Lucia ou la gare rou­tière de Piaz­zale Roma, sui­vant la dor­sale nord de Stra­da Nova, tra­ver­sant le pont du Rial­to, s’arrêtant pour y prendre sa pho­to au som­met, puis se frayant un che­min dans une petite rue sur­char­gée jusqu’à la place Saint Marc, ce par­cours a fini par deve­nir un lieu à part entière. Il est « dan­ge­reux » de s’en écar­ter, car les petites rues laby­rin­thiques en dehors de ce tra­cé peuvent vous perdre quelques heures.

Aux yeux des habi­tants, ce « lieu-par­cours » semble presque hors de leur ville. Impra­ti­cable, puisque trop sur­char­gé pour être emprun­té au quo­ti­dien. Inin­té­res­sant, puisque les seuls com­merces qui l’agrémentent sont des bou­tiques de sou­ve­nirs ou des res­tau­rants hors de prix. Inha­bi­table, tant les loca­tions tou­ris­tiques ont modi­fié l’offre de logement.

Les locaux, dont nous avions la pré­ten­tion de faire rapi­de­ment par­tie, ont donc trou­vé leurs lieux de vie, leurs espaces de socia­bi­li­té et leurs par­cours à l’abri de ce flux. Nous, étu­diants, avions notre « rue de la soif », qui n’est pas une rue mais une place : le cam­po San­ta Mar­ghe­ri­ta, com­mu­né­ment dénom­mé cam­po, qui accueille la plus grande den­si­té de bars de la ville. Les lieux à l’écart des tou­ristes comptent aus­si les équi­pe­ments du quo­ti­dien, les uni­ver­si­tés, les biblio­thèques, les ter­rains de sport, les écoles et les hôpi­taux, ain­si que le stade Pier Lui­gi Pen­zo, pour cla­mer son amour au Vene­zia FC.

L’espace vir­tuel, lui aus­si, est mar­qué par la dua­li­té : sur les réseaux sociaux, des pages Ins­ta­gram® tou­ris­tiques expo­sant les pay­sages retou­chés des canaux tur­quoise et des gon­doles, face à celles des rési­dents au titre évo­ca­teur : Vene­zia non è Dis­ney­land.

Une dua­li­té qui est aus­si tem­po­relle. Deux villes, le temps d’une simple jour­née où, après 21 h, les tou­ristes ont tous rega­gné leur hôtel ou leur bateau de croi­sière. Deux villes, le temps d’une année, où l’on voit les dis­pa­ri­tés fla­grantes de la place Saint Marc, vide l’hiver, mais impra­ti­cable en février lors du carnaval.

Ismaël Bout­tier et Nico­las Tricaud

Cré­dit pho­to : Ph.Mely — Comi­té “No Gran­di Navi” pro­tes­tant contre les navires de croi­sière tra­ver­sant Venise, sep­tembre 2018

 

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