Les urbanistes changent parfois de voie. Après leurs études, ils désertent la maîtrise d’ouvrage publique ou les organismes de planification pour se diriger vers d’autres cieux, qui peuvent être proches de la fabrique urbaine, comme la promotion immobilière, ou bien plus éloignés. C’est le cas du journaliste Arnaud Paillard, qui a retrouvé des camarades de promotion de son master d’urbanisme, pour décortiquer avec eux les raisons qui les ont poussés à s’éloigner de l’urbanisme.
On n’étudie pas la ville par hasard. Quand je suis arrivé en master d’urbanisme, je me souviens avoir eu l’impression d’arriver chez moi. Pour la première fois, j’étais entouré de personnes intéressées par la ville. Laquelle, pour moi, était un objet protéiforme, difficilement saisissable, qui comportait une part de magie. Comme dans Les Villes invisibles, d’Italo Calvino, chaque partie de la ville, chaque quartier était pourvu d’attributs qui lui étaient propres, sans que l’on sache comment ils s’étaient constitués. Et, pour la première fois, fraîchement débarqué au cycle d’urbanisme de Sciences-Po, j’avais reçu la promesse d’étudier comment ces villes étaient faites, comment elles s’étaient constituées. Entouré de personnes tout aussi intéressées par le sujet.
Aujourd’hui, je ne travaille plus dans la fabrique de la ville. Après une première expérience chez un aménageur, j’ai bifurqué. Au gré de mes déménagements, de ma trajectoire de vie, je suis devenu journaliste. D’abord généraliste, puis spécialisé. Dans la ville, bien sûr, tant il est vrai que ce sujet exerce toujours sur moi une forme de fascination. Par sa difficulté à la saisir, par la nécessité de trouver un angle d’attaque pour la comprendre, l’étude de la ville n’est pas si différente du journalisme. Discipline où, pour raconter une bonne histoire, il est aussi nécessaire de trouver un bon angle.
Rupture
Plus de dix ans après être sorti de mon master d’urbanisme, je me suis rendu compte que je n’étais pas le seul dans cette situation. Autour de moi, mes camarades de master avaient également bifurqué. De façon plus ou moins radicale, plus ou moins consciente, plus ou moins en rupture avec la ville et la façon dont on la fait. Au fil des rencontres entre « anciens », à la question « Et toi, tu en es où en ce moment niveau boulot ? », les réponses commençaient à me surprendre. Qui partait en développement territorial, qui en animation de friches, qui chez les promoteurs. Il y a ceux qui avaient décidé de rompre purement et simplement avec le monde de la fabrique urbaine. D’autres, à la faveur de leur évolution professionnelle, traçaient sans le savoir le nouveau sillon d’un métier d’urbaniste en pleine recomposition.
Antoine fait partie de la première catégorie. Après un BTS de gestion forestière, passé il y a deux ans, il travaille désormais en forêt. Il était arrivé dans le monde de l’urbanisme après un premier master de droit. « Mais si c’était à refaire, je ne pense pas que je le referais », prévient-il d’entrée de jeu. Devenu responsable d’opération au sein d’un grand aménageur francilien au sortir de ses études d’urbanisme, son expérience professionnelle ne lui laisse pas un souvenir impérissable. « Dans la position du maître d’ouvrage, on ne produit rien. On sert de passe-plats entre les différentes parties prenantes dans un maelström technocratique qui nous pousse à couper les cheveux en quatre », se remémore-t-il.
Balancé de «copil» en «cotech», il perd peu à peu le sens de son métier et de son action. Le contact avec certains élus achève de le décider à quitter le métier : « J’ai dû organiser une concertation entre promoteurs qui était pipée d’entrée de jeu, car le maire avait déjà porté son choix sur un candidat. Une autre fois, j’ai dû travailler avec un élu municipal ouvertement raciste », m’explique- t‑il. Antoine est désormais gestionnaire forestier dans le Cher. Il aide les propriétaires à gérer et mettre en valeur leurs domaines par la vente de bois et le maintien d’un capital sur pied de manière durable. « C’est le seul point commun avec l’urbanisme : j’organise les choses de manière harmonieuse dans l’espace », conclut-il, paraphrasant Pierre Merlin qui définit ainsi l’urbanisme dans son « Que sais-je ? » de 2005.
Arnaud Paillard
Un commentaire
Toidongar Djimbaye
19 avril 2024 à 12h07
Bonjour,
Je suis très intéressé par ce témoignage, je partage cet avis , quant à moi je suis titulaire une licence en Aménagement du territoire près qu’une dizaine année mais je me suis reconverti en qualité d’un expert en suivi et evaluation des projets et programmes humanitaires dans la vie le monde de travail est très complexe mais ce qui est important c’est de joindre les deux bouts de la vie active.