L’urbaniste doit revendiquer d’être créateur de ville

Pour­quoi le rôle de l’urbaniste est-il si dif­fi­cile à faire émer­ger ? Pour quelles rai­sons ce métier est-il si peu connu alors qu’il façonne le quo­ti­dien de plus de la moi­tié de la popu­la­tion mon­diale et de près de 80 % des Fran­çais (1) ? Com­ment mieux valo­ri­ser notre savoir-faire propre, être iden­ti­fiés par les élus, les médias, les citoyens et le public comme des créa­teurs de ville à part entière, aux côtés des concep­teurs archi­tectes et paysagistes ?

 

Voi­ci quelques élé­ments de réponse qui ne pré­tendent pas viser à l’exhaustivité.

En pre­mier lieu, le tra­vail de l’urbaniste s’étale sur un temps si long que l’on ne prend que rare­ment conscience de son résul­tat. Lorsqu’un quar­tier est ache­vé, les idées à l’origine de sa concep­tion ont très sou­vent été réin­ter­pré­tées par d’autres, pas tou­jours de manière heu­reuse. Dans cette socié­té de l’immédiateté, la ville est conçue comme une suc­ces­sion de pro­jets, décou­pés au rythme des chan­ge­ments poli­tiques. Rares sont les urba­nistes qui ont l’occasion de tra­vailler dans la durée sur un même pro­jet urbain. Or, le carac­tère fon­da­teur du tra­vail des ini­tia­teurs est rare­ment consi­dé­ré à sa juste valeur par ceux qui les suivent. Quand il n’est pas sim­ple­ment oublié, alors que le propre de la ville est d’être sédi­men­taire, y com­pris au plan des idées.

Comme Michel Des­vigne aime à le sou­li­gner, la ville est fré­quem­ment le pro­duit d’une suc­ces­sion de pre­mières phases, de plans-guides qui ne ver­ront jamais le jour dans leur inté­gra­li­té. La notion de « récit » devient alors omni­pré­sente. Elle entend mettre ené­vi­dence que chaque phase du pro­jet urbain porte une part de sa cohé­rence d’ensemble.

La ques­tion du temps est au cœur de notre métier. L’urbaniste doit être celui qui porte des convic­tions et les rap­pelle de manière récur­rente pour que les fon­da­men­taux des pro­jets ne soient pas oubliés.

 

En deuxième lieu, les enjeux urbains dépassent très lar­ge­ment les ques­tions tech­ni­ciennes et for­melles. Nous ne les sous-esti­mons pas, bien au contraire. La culture de la ville, de ses échelles spa­tiales, de sa géo­gra­phie et de son his­toire est indis­pen­sable – elle manque d’ailleurs sou­vent aux archi­tectes. Cepen­dant, tra­vailler sur la ville néces­site un savoir-faire plus large ! La ville est por­tée par des dyna­miques qui la dépassent, qu’elles soient poli­tiques, envi­ron­ne­men­tales, cultu­relles, sociales ou éco­no­miques, et l’urbaniste doit com­po­ser avec elles pour créer des espaces habitables.

La recherche de la juste place du public et du pri­vé dans l’aménagement et dans la réa­li­sa­tion des équi­pe­ments est cen­trale, à cet égard, pour trou­ver un équi­libre entre ces enjeux de divers ordres. La finan­cia­ri­sa­tion crois­sante de l’aménagement urbain et de l’immobilier pro­voque des effets délé­tères sur les inéga­li­tés sociales et l’environnement. C’est l’un des prin­ci­paux chal­lenges que notre métier doit affron­ter pour conti­nuer à répa­rer les ter­ri­toires, lut­ter contre les ségré­ga­tions, ou tout au moins évi­ter de les renforcer.

Face à l’importance de ces défis à affron­ter, tra­vailler sur la ville néces­site à la fois une humi­li­té et une volon­té de faire à toute épreuve.

 

En troi­sième lieu, être urba­niste requiert sou­vent d’endosser le rôle de chef d’orchestre coor­don­nant les nom­breux acteurs qui doivent impé­ra­ti­ve­ment tra­vailler ensemble à bâtir l’œuvre col­lec­tive qu’est la ville : habi­tants, élus, asso­cia­tions, maîtres d’ouvrage, archi­tectes, pay­sa­gistes, éco­logues, pro­mo­teurs, inves­tis­seurs, notaires, avocats, …

Comme l’écrivait Wim Wen­ders dans une inter­view au jour­nal Le Monde : « De toute façon, j’exerce un grand nombre de métiers. En tant que réa­li­sa­teur de films, on est psy­chiatre, orga­ni­sa­teur, comp­table, avo­cat, agent de voyages, pro­mo­teur, archi­tecte, coor­di­na­teur musi­cal, mani­pu­lateur, pho­to­graphe, conteur, repré­sen­tant de com­merce, auteur, négrier, et quelques autres petites choses qui pour­raient ne sem­bler ni sédui­santes ni créa­trices. Hon­nê­te­ment, pour moi, le mys­tère reste entier quand je vois que cela finit par deve­nir un métier(2) »

Avec les équipes d’Une Fabrique de la Ville, nous nous recon­nais­sons dans cette posi­tion spé­ci­fique de « réa­li­sa­teur urbain ». Pour nous, le « faire » tient une place déter­mi­nante dans l’urbanisme. Notre ambi­tion est de per­mettre de réa­li­ser les visions les plus ambi­tieuses, sans perdre leur qua­li­té. « L’art de la mise en œuvre » consti­tue, selon nous, une part essen­tielle de la concep­tion des villes.

Contrai­re­ment au réa­li­sa­teur, inter­ve­nant majeur de l’art ciné­ma­to­gra­phique, l’urbaniste est trop sou­vent un invi­sible. Son exis­tence est volon­tiers effa­cée par sa maî­trise d’ouvrage, et plus encore par les nom­breux archi­tectes d’opérations aux­quels il a pré­pa­ré le ter­rain, et dont les bâti­ments émergent de manière plus identifiable.

 

Enfin, pour toutes les rai­sons qui viennent d’être déve­lop­pées, il est bon que l’urbanisme ne soit pas une pro­fes­sion régle­men­tée, qu’il n’y ait pas d’ordre des urba­nistes. L’urbanisme doit demeu­rer une pro­fes­sion ouverte, libre, trans­dis­ci­pli­naire. Pour nous est urba­niste tout acteur de l’aménagement qui fait pas­ser la ville et ceux qui l’habitent avant toute autre consi­dé­ra­tion. L’habitant est par­fois lui-même urba­niste lorsqu’il dépasse ses seuls inté­rêts par­ti­cu­liers pour pen­ser la com­plexi­té urbaine au pro­fit de l’intérêt géné­ral. À ce titre sa par­ti­ci­pa­tion à la concep­tion des pro­jets urbains devrait être plus importante

 

Guillaume Hébert et Jean-Louis Subileau

Urba­nistes, cofon­da­teurs d’Une Fabrique de la Ville, en 2008

Nantes, Petite Hol­lande, Bords de Loire, Plan masse du projet
© Agence Ter / Une Fabrique de la Ville / List / 51n4e / Tugec / Mob­hi­lis / Col­lec­tif Fil / Sco­pic / Coup d’Éclat / Cro­nos / Tess

 

1/www.insee.fr/fr/statistiques/4806684 

2/« Le rock’n’­roll m’a-t-il sau­vé la vie », Wim Wen­ders, Le Monde, 17 avril 2004. 

Un commentaire

  • Toukap

    23 avril 2024 à 18h10

    Mer­ci pour l’é­di­fi­ca­tion que vous faites aux lec­teurs que nous sommes. Je penses que l’ur­ba­niste est mis en arrière parce que son rôle c’est la fabrique de la ville que le poli­tique consi­dère comme usurpateur.
    Fau­drait que les urba­niste arrivent à faire com­prendre aux poli­tiques qu’ils accom­pagnent leur vision mais avec un zeste de tech­ni­ci­té qu’ils détiennent.
    Aujourd’­hui le monde est dos au mur face au réchauf­fe­ment cli­ma­tique et la res­pon­sa­bi­li­té revient à l’ur­ba­niste qui n’a pas joué son rôle.
    Pire encore, les plans d’a­dap­ta­tion sont pré­sen­tés comme solu­tions à ces pro­blèmes mais encore sans mettre l’ur­ba­niste au centre. C’est dom­mage que bien que des DPU existent, on arrive à faire des déro­ga­tions pour échap­per à la planification.
    Mer­ci encore

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