Anne-Claire Mialot : « Personne ne démolit par plaisir »
Le 7 février 2024, alors que l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) s’apprête à fêter ses 20 ans, une cinquantaine de collectifs d’habitants, d’architectes et d’urbanistes se sont rendus devant le siège de l’Agence, réunis sous la bannière « Stop démolition ANRU ». L’objectif de la manifestation était de réclamer « un moratoire immédiat » quant aux démolitions en cours ou à venir dans le cadre des opérations de renouvellement urbain. La directrice générale de l’Anru, Anne-Claire Mialot, avait alors reçu une délégation le jour même. Pour Urbanisme, elle revient sur cet évènement et répond aux revendications formulées par les collectifs lors de cette mobilisation.
Que répondez-vous aux collectifs qui reprochent à l’Anru de procéder à la démolition de bâtiments sains et en bon état plutôt que de les réhabiliter, sachant que certains ont même été distingués pour leurs qualités architecturales, voire patrimoniales ?
L’Anru a été créée en 2004 pour mettre en œuvre le PNRU [Programme national de rénovation urbaine, ndlr], puis le NPNRU, en métropole et dans les outre-mer. L’objectif de l’Anru, c’est d’améliorer le cadre de vie et les logements de millions d’habitants dans 600 quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), quartiers qui concentrent des difficultés sociales et des dysfonctionnements urbains majeurs. Nous finançons et nous accompagnons la construction et la réhabilitation de logements pour garantir des logements aux meilleures qualités environnementales, mais aussi des équipements publics et des équipements à vocation économique. Nous travaillons pour améliorer la mixité sociale, améliorer l’aménagement des quartiers, développer leur attractivité et, in fine, garantir une meilleure qualité de vie aux habitants de ces quartiers.
Parfois, nous finançons aussi et nous accompagnons la démolition de logements sociaux. La démolition n’est pas un dogme. La rénovation concerne deux tiers de l’action de l’Anru et personne ne démolit par plaisir.
Mais nous assumons de faire le choix, parfois, de la démolition/reconstruction et de reconstruire la ville sur la ville. Certains bâtiments sont inadaptés, très complexes à réhabiliter, notamment pour garantir leur performance énergétique. Au-delà des bâtiments eux-mêmes, la composition urbaine de certains quartiers nécessite des démolitions pour les adapter aux besoins d’aujourd’hui, que ce soit pour ouvrir le quartier sur le reste de la ville, créer des voies de bus ou encore des îlots de fraîcheur. À Grigny par exemple, le bus traverse désormais la Grande Borne, alors qu’il évitait le quartier auparavant.
Par ailleurs, l’Anru est vigilante à la préservation du patrimoine architectural. L’agence a, par exemple, soutenu et financé les projets de rénovation du Serpentin, d’Émile Aillaud, à Pantin, ou encore la réhabilitation des logements de Renée Gailhoustet, à Saint-Denis Basilique.
Les projets de renouvellement urbain créent également le patrimoine remarquable de demain dans les quartiers. Je pense notamment à l’écoquartier Les Noés, à Val-de-Reuil (Grand Prix « ville durable » des Green Solutions Awards et prix de l’Équerre d’argent en catégorie aménagement urbain et paysager), la médiathèque Leonard-de-Vinci, à Vaulx-en-Velin, ou encore à La Pinède, dans le quartier Haute-Garonne à Cenon.
« Quand on finance la démolition d’un logement social, on en finance la reconstruction, dans un autre quartier. »
Les collectifs ont affirmé que les opérations pouvaient occasionner une perte du nombre de logements sociaux occasionnée par la nature des projets. Est-ce fréquemment le cas ?
Nous appliquons la règle « du 1 pour 1 ». Quand on finance la démolition d’un logement social, on en finance la reconstruction, dans un autre quartier, mais à l’échelle de l’agglomération. Bien sûr, cette règle nous l’adaptons à chaque territoire. À Nevers, par exemple, où le taux de vacance est très fort, le choix a été fait de dédensifier. À l’inverse, à Montpellier, 186 % des logements sociaux démolis seront reconstruits pour répondre aux besoins locaux. C’est ce qui explique, au niveau national, le « delta » entre logements démolis et reconstruits.
Par ailleurs, nous participons à l’augmentation du nombre de logements à destination des classes populaires et moyennes car les projets de renouvellement urbain permettent la construction de 80 000 logements en diversification (dans le cadre du NPNRU), c’est-à-dire des logements à destination des salariés ou encore des programmes d’accession sociale à la propriété, qui permettent aux habitants des QPV de bénéficier d’un parcours résidentiel positif.
Mobilisation du collectif Stop démolition ANRU devant le siège de l’agence, à Pantin, le 7 février 2023.
Certains collectifs vont jusqu’à employer le terme d’« épuration sociale » pour dénoncer un phénomène qui voudrait que les nouvelles constructions soient destinées à des populations plus aisées, au bénéfice des promoteurs. La mixité sociale serait alors synonyme de gentrification…
L’objectif de l’Anru est de lutter contre la ségrégation sociale et territoriale par la mixité sociale notamment. Je le répète, l’Anru impose, d’une part, la reconstitution de l’offre dans d’autres quartiers pour apporter de la mixité à l’échelle de l’agglomération, et permet, d’autre part, de construire une offre de logements diversifiés pour attirer de nouvelles populations, en rendant le quartier plus attractif.
Dire que les programmes de renouvellement urbain créent de la gentrification est factuellement faux. Je me déplace chaque semaine dans les quartiers que nous accompagnons. Sauf quelques rares exceptions, personne ne parle de gentrification des quartiers Anru.
La gentrification est un phénomène social qui ne dépend pas que du logement, mais qui est lié avec l’arrivée d’une ligne de métro, d’entreprises, ou de commerces. Par ailleurs, il ne faut pas confondre gentrification et meilleure attractivité du quartier. Ainsi, un maire partageait avec moi l’exemple d’habitants en attente d’une attribution de logements sociaux, enthousiastes à l’idée d’habiter dans les quartiers où la transformation avait déjà eu lieu, moins dans ceux où elle est encore à venir ou attendue.
« Changer de logement, changer de quartier, c’est un déracinement en soi. »
Qu’en est-il du relogement des habitants, vivant depuis plusieurs décennies dans leur quartier, vers des habitats qualifiés par les collectifs de « plus petits, plus chers, plus loin » et responsables selon eux d’un « sentiment de déracinement », en plus de « couper les réseaux de solidarité » ?
Changer de logement, changer de quartier, c’est un déracinement en soi. C’est quitter les souvenirs accumulés depuis des années, voire des décennies pour certains. C’est pour cela que l’on veille à ce que les relogements soient perçus comme des parcours résidentiels positifs. Les MOUS (maîtrise d’œuvre urbaine et sociale) financées par l’Anru permettent d’accompagner les personnes relogées pour mieux comprendre leurs besoins (en termes de quartier, de typologie de logements, etc.) et pour s’assurer que le relogement se concrétise en une amélioration de leur cadre de vie. L’Anru finance aussi des dispositifs de minoration de logement, pour avoir des restes à charge maîtrisés.
Le relogement donne donc des opportunités, et à plein d’endroits ça marche. Lorsque je me suis rendue à Nancy, j’ai rencontré des habitants qui avaient la volonté de rester dans leur quartier et qui ont pu acheter une maison neuve avec jardin grâce à l’accession sociale à la propriété. D’autres habitants voulaient, à l’inverse, quitter le quartier. C’est d’ailleurs ce que confirme le baromètre Harris Interactive : quand 30 % des Français se montrent ouverts à l’idée de changer de quartier, ce chiffre atteint 51 % parmi les habitants de QPV.
Plus globalement, les collectifs reprochent à l’Anru de « ne pas prendre ses responsabilités » face aux doléances des habitants et de « renvoyer la balle aux maires »… qui, eux-mêmes, renvoient la balle à l’Anru.
L’Anru prend ses responsabilités, c’est-à-dire celles qui lui ont été données par le législateur, à savoir, mettre en œuvre une politique publique de solidarité nationale à destination des quartiers populaires, en accompagnant les projets de collectivités territoriales, et avec comme principes le renforcement de la mixité sociale, la transition écologique, la dignité par le logement, et l’amélioration du cadre de vie des habitants.
Les projets sont ceux des collectivités territoriales, ils sont portés par les maires, démocratiquement élus et donc légitimes à porter ces projets locaux. L’agence les finance, les accompagne, et s’assure que les grands principes de la politique de renouvellement urbain sont respectés. Les projets sont locaux, décidés au plus près des habitants, et accompagnés par l’agence.
« En quinze ans […] les habitants ne sont parfois plus les mêmes […] ce qui complexifie cette coconstruction. »
Quand le maire ne respecte pas le règlement, les collectifs déplorent un manque de contrôle, de contrepouvoir…
Le renouvellement urbain se fait dans une logique partenariale, avec tous les acteurs autour d’une même table. Les projets sont suivis très précisément par l’Anru et par les délégations territoriales dans les préfectures qui s’assurent que les termes de la convention sont bien respectés : nombre de logements sociaux à reconstruire, exigences de qualité et de performance énergétique à respecter, offre à reconstituer hors du QPV. Ces projets s’inscrivent dans le temps long. En quinze ans, entre la signature de la convention et la finalisation des travaux, les habitants ne sont parfois plus les mêmes, encore plus dans des quartiers où les taux de rotation de logements sont très forts, ce qui complexifie cette coconstruction.
Pour autant, l’Anru est très mobilisée sur ce sujet, porte des exigences et propose des outils. Nous finançons, par exemple, l’École du renouvellement urbain (ERU) qui forme tous les conseils citoyens, ou encore des missions d’appui pour accompagner les collectivités dans la coconstruction avec les habitants. Et ça fonctionne dans beaucoup d’endroits. Nous étions, par exemple, en région Paca, le 9 avril, pour les journées régionales de l’Anru. Le maire de Miramas nous expliquait ce qu’il avait mis en place pour coconstruire son projet avec les habitants. Non seulement ces démarches permettent une meilleure adhésion au projet, mais elles en améliorent substantiellement le contenu.
Nous sommes aussi conscients que, parfois, cette implication et écoute des habitants est plus faible. Nous continuons de travailler ces sujets avec les porteurs de projet. Nous réfléchissons également, dans le cadre de la mission sur le futur du renouvellement urbain, à comment mieux outiller les collectivités territoriales pour permettre une réelle coconstruction avec les habitants.
Propos recueillis par Rodolphe Casso
3 commentaires
Hussein
25 avril 2024 à 19h47
La réalité est que des immeubles dont les structures sont en bon état sont démolis. L’ANRU et certains de ses différents partenaires n’ont pas l’air de prêter attention à l’expertise des habitants qui n’ont aucun mot à dire face aux démolitions imposées. C’est le cas de plusieurs projets dans le 78 avec des démolitions qui auront un impact écologique négatif et une dépense d’argent public inutile. Mais de plus en plus d’habitants s’organisent en collectifs et certains ont déjà saisi la justice pour faire face à cette injustice.
Boutonnet
24 avril 2024 à 14h18
Que de contre vérités que de mensonges dans ces dires de Mme Mialot. A Besançon, L’ANRU finance à 100% les 1700 démolitions {80% seulement chez Neolia). L’ANRU finance très partiellement 440 reconstruction dont seulement 20 dans les quartiers détruits. Bilan un déficit de 1200 logements sociaux. ELLE RÉHABILITE ? Ah oui, 650 sur les 6000 du quartier de Planoise et aucun aux 408 où les 500 logements sont demolis laissant place à…RIEN! Et là encore L’ANRU ne finance que partiellement.
Victor Hugo, né dans notre ville à écrit un jour “GUERRE AUX DÉMOLISSEURS”. Il voulait que soit préservé notre patrimoine. Alors “GUERRE À L’ANRU ?” ou L’ANRU change radicalement de cap ?
Duvelle Cecile
24 avril 2024 à 11h14
Et donc cela signifie que les 800 signataires de l’appel du collectif Stop démolitions ANRU, collectif d’habitants et professionnels, dont les prix Pfizer d’architecture, ne comprennent rien aux besoins de la rénovation urbaine et sont mal informés?? Comment se fait-il que la voix des professionnels et des habitants si nombreux à rejeter ce système délétère ne soit pas prise en compte?