Ordo or Chaos ?

Planification hardcore et ultralibéralisme, deux courants de radicalité coexistent chez les urbanistes. 

Les défis de l’époque imposent des changements radicaux dans la manière d’aménager le territoire et de gérer et développer les villes par un nouvel urbanisme. Mais si la radicalité est dans tous les discours, même les plus convenus, les pensées et pratiques radicales sont réduites à une forme de marginalité.

Est-ce parce qu’en France l’urbanisme est enseigné comme une science sociale et poli­tique (ce qui n’est abso­lu­ment pas la norme, ailleurs) qu’il est à ce point considéré comme un domaine hau­te­ment intel­lec­tuel et dis­cur­sif, et assez sou­vent abs­trait ? Iro­nie du sort, quand on sait à quel point les urba­nistes sont attachés à se reconnaître au prisme de leur « pra­tique pro­fes­sion­nelle », de leurs inter­ven­tions concrètes sur les ter­ri­toires et pour les gens…

De fait, il y a, en appa­rence, un cli­vage immense entre ceux qui pensent ou dis­courent sur l’urbanisme et ceux qui le pra­tiquent. Ceux qui sou­vent glosent sur les « dis­rup­tions nécessaires au déploiement juste des tran­si­tions au bénéfice de la sobriété, et de l’inclusivité », et ceux qui ont les mains dans le cam­bouis des docu­ments d’urbanisme et autres pro­jets urbains, appliqués à mettre en œuvre des approches et règles antédiluviennes pour des exécutifs locaux dont le seul véritable objec­tif – quel qu’en soit le prix – est le consen­sus. Un consen­sus drapé dans une forme d’idéal démocratique, alors que per­sonne ne peut contes­ter qu’il est le meilleur allié de l’immobilisme et du busi­ness as usual.

Pour autant, lorsqu’on inves­tigue en détail la pra­tique pro­fes­sion­nelle et notam­ment sur ses marges, le tableau se révèle moins sombre : l’activité des urba­nistes français n’a jamais été tota­le­ment réduite à appor­ter des réponses conven­tion­nelles à des ques­tions cli­vantes sinon mili­tantes. État des lieux.

L’occupation de l’espace public ou de bâtiments comme approche et méthode de concep­tion non conventionnelle

Prendre pos­ses­sion des lieux pour les com­prendre, les protéger ou les reven­di­quer n’est pas, comme le rap­pelle le socio­logue Jean-Louis Vio­leau (lire « Vous êtes bien urbain… », p. 98 du numé­ro 436), une pra­tique nou­velle, « elle s’enracine dans l’anticipation lumi­neuse d’Henri Lefebvre au milieu des années 1960, qui a com­pris que la lutte des classes s’étendait à l’espace, renou­ve­lant autant l’économie poli­tique que la concep­tion de ces espaces ». Les actions d’occupation d’usines ou de lieux sym­bo­liques ont irrigué la pra­tique de l’urbanisme dans les années 1970, y com­pris du côté de la maîtrise d’ouvrage publique, qui n’hésitait pas à inves­tir les lieux de pro­jet : cer­tains bureaux des GIP [grou­pe­ments d’intérêt public, ndlr] des grands ensembles occu­paient des bara­que­ments sur site. Cer­tains bureaux d’études comme le Béru [Bureau d’études et de réalisations urbaines] ou cer­tains orga­nismes comme les Oream [orga­nismes régionaux d’étude et d’aménagement d’aire métropolitaine] fon­daient leur exer­cice sur une pra­tique in situ.

Cette approche, tombée en désuétude au tour­nant du millénaire, est reve­nue à l’ordre du jour au milieu des années 2000. Réveillée par l’activisme social (cam­pe­ments contre le mal-loge­ment) et écologiste (zones à défendre, ZAD) – mais aus­si vidée d’une bonne par­tie « des concepts mar­xistes d’origine qui ont été revus et corrigés », comme l’indique J.-L. Vio­leau –, pour struc­tu­rer les pra­tiques de l’urbanisme tran­si­toire, par­fois appelé « tac­tique » en une référence sans doute invo­lon­taire, mais puis­sante, aux tra­vaux des situa­tion­nistes sur la ville et l’urbanisme.

Julien Mey­ri­gnac

Repré­sen­ta­tion du Bimby

© HYOJIN BYUN

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