Urbanisme temporaire : la fabrique de nouveaux métiers

Peu répandues auprès des urbanistes au début des années 2000, ces pratiques de l’urbanisme transitoire ont bousculé les codes et les profils métiers du secteur. Jusqu’à créer, pour certains, un bouleversement culturel.

Alors qu’il était qua­si­ment incon­nu du voca­bu­laire des pro­fes­sion­nels de la ville au début des années 2000, l’urbanisme tran­si­toire est deve­nu, en l’espace de quelques années, un monde à part entière de la pro­fes­sion, avec ses propres codes et ses pro­fils métiers. Ses représentants s’emploient, avec l’aval des maîtres d’ouvrage, à occu­per des espaces urbains délaissés en atten­dant leur appro­pria­tion par les por­teurs définitifs du pro­jet : ensembles immo­bi­liers, friches indus­trielles, ter­rains publics vacants… Le prin­cipe: pro­po­ser, à des prix défiant toute concur­rence, un fon­cier à des acteurs de l’économie sociale et soli­daire (ESS) et à des artistes, le temps que le pro­jet soit requalifié.

Rela­ti­ve­ment récent en France, ce phénomène n’est pour­tant pas si nou­veau en Europe. « Dès les années 1980, l’Allemagne était déjà en avance par la pro­fu­sion de pro­jets », explique Hélène Mor­teau, diri­geante et cofon­da­trice de la société Bien Urbaines et coau­teure d’une étude publiée en 2019.

Les Anglo-Saxons s’y sont conver­tis à par­tir des années 2000, peu après l’éclatement de la bulle immobilière qui a laissé de nom­breux loge­ments vacants en centre-ville de Londres ; et le niveau de vie en a fait l’une des villes les plus chères pour se loger en Europe. Dès lors, des entre­prises outre-Manche se spécialisent dans l’offre de stu­dios pour artistes. Elles leur louent des loge­ments vacants, dont les sur­faces – situées dans des espaces en réhabilitation – sont suf­fi­santes pour y vivre et y tra­vailler, à un prix très inférieur à celui du marché. En parallèle, des pop-up stores, sortes de bou­tiques éphémères, fleu­rissent dans les rues lon­do­niennes. Construit en 2011, le centre com­mer­cial éphémère Sho­re­ditch, dans l’est de la capi­tale anglaise, s’était ins­tallé dans des contai­ners. Il est encore pos­sible aujourd’hui de déambuler entre les bou­tiques de créateurs branchés et les stands de street food qui ont conservé l’architecture tem­po­raire des premières heures du projet.

Le cas anglais diffère néanmoins du français. « À Londres, ce phénomène s’est appuyé sur une logique beau­coup plus libérale. Ces pop-up stores étaient, avant tout, un moyen d’optimiser financièrement du fon­cier. Ce que nous appe­lons “urba­nisme tran­si­toire”, en France, s’ancre davan­tage dans une logique d’intérêt général. Ce n’est, d’ailleurs, pas un hasard si les réseaux d’urbanisme tran­si­toire français sont aujourd’hui en rela­tion avec la Bel­gique, la Suisse et l’Italie, mais très peu avec l’Angleterre », com­mente Cécile Diguet, urba­niste à L’Institut Paris Region et spécialiste de l’urbanisme transitoire.

Grands Voi­sins pari­siens et Ate­liers Briand san-priots

En France, un pro­jet a marqué un tour­nant dans le domaine : en 2015, les Grands Voi­sins arrivent à Paris. En deux temps, de 2015 à 2020, l’occupation tem­po­raire de l’ancien hôpital Saint-Vincent- de-Paul, dans le 14e arron­dis­se­ment de Paris, est un vif succès. Sur cet espace de 3,4 hec­tares se sont installés non seule­ment des acteurs de l’ESS, mais aus­si des per­sonnes en situa­tion de vulnérabilité, qui ont pu bénéficier d’hébergements. La première par­tie de l’expérience (2015–2017) s’est achevée le 22 décembre 2017, mais elle a définitivement marqué son empreinte dans l’histoire de l’urbanisme tem­po­raire français. « Cela a per­mis à des acteurs comme Pla­teau Urbain de se conso­li­der et d’apporter de la confiance auprès des autres acteurs. L’effet d’entraînement va être assez fort », ana­lyse Cécile Diguet.

D’autres ont sui­vi peu après, comme Dar­win, situé à Bor­deaux dans le quar­tier de La Bas­tide, où les por­teurs de pro­jet ont inves­ti une ancienne caserne désaffectée, ou encore les Ate­liers Briand, à Saint-Priest, en ban­lieue est de Lyon, où trente entre­prises de l’ESS et du réemploi se sont récemment implantées dans ce lieu de 5 hec­tares, réutilisant les bâtiments indus­triels de l’équipementier auto­mo­bile Solyem.

Emma­nuelle Picaud

Le pro­jet Grands Voi­sins a per­mis à des acteurs de l’ESS et des per­sonnes en dif­fi­culté d’occuper tem­po­rai­re­ment un espace de 3,4 hec­tares dans le 14e arron­dis­se­ment de Paris.

© D. R. 

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