L’un des exemples les plus marquants de l’architecture roumaine de l’entre-deux-guerres.
Par la qualité de son insertion urbaine, de son architecture attachée aux principes du Mouvement moderne, le quartier Vatra Luminoasă est unique à Bucarest. L’organisation urbaine s’inspire en tout point du modèle des cités-jardins. Le ministère du Travail, en charge de la construction de logements par l’intermédiaire de la Maison des constructions (1930–1949), a proposé une alternative aux logements insalubres, afin de combattre la tuberculose qui sévissait alors dans la capitale, en offrant des maisons jumelées donnant sur un jardin individuel.
De 1933 à 1949, près de 400 maisons individuelles, 90 appartements, des commerces, des espaces verts et une centrale thermique sont réalisés. Des éléments du programme, comme la construction d’une école et d’une église, ne purent voir le jour faute de moyens en raison de la guerre.
Chaque maison possède un langage architectural propre et une typologie spécifique selon le nombre d’occupants. On compte seize types différents de logements, du deux aux cinq pièces avec dépendances. Ion Hanciu (1901–1990), l’architecte en chef du projet en collaboration avec Nicolae Aprihaneanu, a inscrit ce quartier dans l’histoire du Mouvement moderne, par l’utilisation de volumes simples et monochromes, d’une trame carrée et d’un décor réduit à son strict nécessaire. Avec l’emploi parcimonieux de certains détails inspirés du style néoroumain, les architectes ont adapté un langage venu d’ailleurs aux spécificités locales.
Suite à une décision du conseil général de la municipalité de Bucarest (HCGMB), le quartier a été classé zone protégée en 1999. Cela implique, en principe, le respect de la valeur architecturale, urbaine et historique – la hauteur des gabarits (7 m maximum), l’alignement des édifices, la végétation existante, les matériaux d’origine – et requiert l’approbation du ministère de la Culture pour la délivrance des permis de construire. Le quartier sera ultérieurement proposé par l’Institut national du patrimoine pour être inscrit sur la liste des monuments historiques.
Un éternel recommencement
Dans les années 1960, le régime communiste décide unilatéralement de construire des tours d’habitations de 12 niveaux, à l’emplacement des parcs publics existants.
Soixante ans plus tard, c’est le régime autoritaire du Parti social-démocrate (PSD), héritier du Parti communiste, sous la direction de sa maire, Gabriela Firea, qui décide de construire un programme mixte de 30 m de hauteur, faisant fi des règles de protection. En partenariat avec l’Institut national du patrimoine, une lettre – laissée sans réponse – a été envoyée à la municipalité pour faire part de leurs réserves sur le projet. Grâce à l’association Grupul Civic Iancului, des centaines de signatures de citoyens de Vatra Luminoasă, matérialisées par des plaintes adressées à la maire et aux conseillers municipaux, ont été recueillies et une action en justice sera intentée, qui n’aura que peu de chances d’aboutir.
Pourquoi le même schéma se répète-til trente ans après la chute du régime ?
L’héritage communiste a‑t-il laissé des traces indélébiles ? La seule action possible se trouve dans la mobilisation citoyenne, encore peu développée, et dans des actions en justice. Des associations comme Studio Zona et Arcen ont entamé ce travail.
Les actions de la municipalité se résument malheureusement uniquement à la rénovation énergétique des barres de logements construites dans les années 1960 à 1980, par l’ajout de plaques de polystyrène à l’extérieur et la mise en peinture des façades.
Ce qui dissimule le problème plus profond de la ville de Bucarest, à savoir la protection des édifices et des structures en béton de l’époque face au risque sismique important.
Jérémy Vercken, architecte
Photo : Les commerces du quartier Vatra Luminoasă comportent des logements destinés aux commerçants à l’étage © Andrei Margulescu