Les agences d’urbanisme apparaissent bien placées pour « activer » les territoires oubliés. Elles sont sans frontières et peuvent ainsi rechercher des adhésions et des terrains d’intervention éloignés de leur base historique. Elles savent se préoccuper de sujets « orphelins », enjeux stratégiques perdus dans les procédures, voire absents des agendas politiques.
Les « territoires oubliés » en font manifestement partie.
Pour ces territoires, le donner à voir et à comprendre est primordial. Car l’invisibilité est d’abord cognitive : faire découvrir ces territoires que l’on ne connaît pas, ou mal, c’est à la fois en finir avec des visions réductrices et rendre leur présence évidente. Le cognitif aide à sortir de l’invisibilité, et le politique (dans sa capacité à mobiliser) permet de sortir de l’oubli ; alors faire projet devient crédible.
Les agences d’urbanisme présentent l’atout de la pluridisciplinarité, qui convient bien à une appréhension originale des petits territoires et qu’il serait regrettable et injuste de réserver aux grands projets.
Les petites et moyennes villes de Gironde et de Nouvelle- Aquitaine sont devenues, depuis quelques années, des lieux de fréquentation et d’action courants pour l’agence d’urbanisme Bordeaux Aquitaine (a‑urba), soit par l’adhésion des collectivités concernées, comme Angoulême ou Libourne, soit en accompagnement du Département, de la Région et de l’État.
« Les modes de vie dans le périurbain girondin »
Cette enquête menée avec le bureau de recherche 6T a opéré ce nécessaire « donner à voir » par un coup de projecteur à la fois quantitatif et qualitatif sur les pratiques quotidiennes, les trajectoires résidentielles et les aspirations des « rurbains » de Gironde.
Ces derniers n’ont pas été chassés des villes, ils sont plutôt contents de leur lieu de vie car, entre habiter à la campagne et avoir accès à la ville, ils y ont trouvé leur compromis.
Socialement, ce sont des territoires diversifiés qui fonctionnent pour une bonne part en autonomie par rapport à la métropole.
Des résultats à l’encontre des discours dominants qui vont permettre de concevoir, avec le département, des manières originales de « faire projet » dans ces campagnes urbaines.
Les lisières viticoles à Moulis-en-Médoc
Dans un contexte paysager de grande qualité, ce bourg de 1 800 habitants, à environ 30 km de Bordeaux, voit sa population vieillir. De nombreux commerces ont fermé, à l’instar de bien des villages du Médoc, terre de contrastes : de grands châteaux et une population paupérisée.
L’a‑urba est arrivée à Moulis avec la Région Nouvelle-Aquitaine, qui portait un projet de parc naturel régional (PNR). Il s’agissait d’accompagner le PNR dans sa gestation. Désormais constitué, le PNR Médoc a adhéré à l’agence, avec peu de moyens, mais des ambitions fortes. Par une étude sur le traitement des lisières et les manières de faire cohabiter usages résidentiels et activités viticoles – sujet majeur en Gironde – l’a‑urba a voulu donner envie de « faire projet », dessiner des perspectives, anticiper des démarches.
Le « Chemin des écoliers » et le « Sentier des vignes », projet de boucles pédestres à Moulis-en-Médoc ; une « micro-étude », mais avec une équipe-projet pluridisciplinaire : paysagiste, environnementaliste, sociologue, architecte. © a‑urba
Les ressources patrimoniales en Charente
C’est avec l’entente Val de Charente-Océan – qui réunit les communautés d’agglomération d’Angoulême, Cognac, Saintes et Royan – que l’agence a travaillé. Ces territoires, aux situations économiques et démographiques contrastées, n’ont pas voulu être oubliés par la nouvelle grande région.
D’où la volonté d’identifier un projet fédérateur pour assurer cette visibilité, au-delà des liens de coopération noués entre Angoulême et Bordeaux, raison initiale de l’adhésion d’Angoulême à l ’a‑urba.
« La Charente, un lien qui renforce les lieux ». Détail de la carte extraite de l’étude Val de Charente-Océan (2019) identifiant les ressources patrimoniales singulières ou communes des quatre agglomérations de l’entente territoriale. © a‑urba
Les pistes d’avenir, pour l’aménagement et le ménagement de ces petits territoires, ne passent pas par l’importation de projets ou produits urbains miniaturisés. Il y a bien des périurbanités spécifiques à inventer, composant avec l’animation locale, les conditions d’accès et les rythmes de vie spécifiques. Les intensités d’usages propices à la sociabilité peuvent s’appuyer sur l’intermittence, comme celle du marché du samedi. Dans des espaces de densité intermédiaire, les distances ne sont plus celles de la ville ; le vélo à assistance électrique y trouve sa mesure.
C’est à l’aune de ces métriques périurbaines singulières que se développeront des opérations originales et pertinentes, où les préceptes de l’urbanisme circulaire, de la mutualisation au recyclage, trouveront des contextes propices, qui ne sauraient être réservés aux « cœurs » de ville.
Jean-Marc Offner, directeur de l’a‑urba
Lire l’interview de Jean-Marc Offner, invité de la revue, numéro 420