Il y a un peu plus de dix ans, l’État engageait le 5e atelier national consacré aux « Territoires en mutation exposés aux risques », dont nous avons dirigé l’équipe pluridisciplinaire qui a mené de nombreuses études dans différentes régions. Si la méthode s’est révélée excellente et le bilan des ateliers très positif, les suites opérationnelles ont produit des résultats plus nuancés.
Notre travail sur la résilience s’est confirmé, il y a une dizaine d’années, lors des ateliers des territoires dédiés aux risques et l’ouvrage Atouts risques qui a suivi, mais nous avons été, dès notre premier projet, au début des années 1990, confrontés à un contexte sensible.
À Alicante, en effet, le parc que nous avons réalisé à la suite du concours Europan s’établit sur une colline escarpée d’où, lors des averses orageuses soudaines, des torrents de boue se déversaient parfois dans les rues de la vieille ville. Éboulements et ruissellements s’additionnaient à des températures estivales déjà extrêmes, sur ce versant sud-ouest faisant face à la mer, à la limite du désert inhabitable. La « nature » n’avait rien de bucolique, et la reconquête d’un vaste espace public pour appuyer la revitalisation du cœur historique s’annonçait comme une lutte hasardeuse. Tout le travail de dessin a consisté à combiner le plaisir des promenades et des vues spectaculaires avec la rétention des pluies et l’adoucissement de l’atmosphère. Le modelage et l’épaisseur du sol ont transformé la pente en une vaste éponge.
Alors que nous faisions en parallèle notre apprentissage sur le paysage, par des lectures assidues, des arpentages sur les falaises proches et des échanges avec les experts locaux, nous avons mis en place une canopée aujourd’hui bien déployée, qui atténue considérablement la chaleur du soleil, comme le succès populaire du parc en témoigne. Les édifices à demi encastrés dans le sol, associés à l’évaporation du végétal et à la captation des vents marins, furent une première expérience bioclimatique, encore empirique, là aussi inspirée de lectures et de visites dans les sites clés de l’Espagne médiévale. Nous progressions par étapes, de manière très pragmatique, avec l’appui conscient de notre maître d’ouvrage pour rendre finalement habitable ce sol stérile et passablement salin. Plus qu’une contrainte, les aléas du ciel, du soleil et du sol devinrent l’axe fondateur du projet, et les dispositifs construits étaient d’ores et déjà associés aux milieux végétaux pour constituer un même paysage, le plus résilient possible. Ce premier projet nous occupa dix années, mais il fut fondateur, introduisant les thèmes que nous avons développés par la suite, aussi bien dans l’enseignement que dans notre pratique d’agence et les recherches qui y sont associées.
Aléas et vulnérabilité des territoires
Instruits par l’expérience d’Alicante, mais aussi par des recherches continues sur l’urbanisme nordique et, en particulier, les projets urbains finlandais, nous avons dès lors exploré la notion de « ville nature » et les variations des alliances entre le sol, les phénomènes naturels, les paysages anthropiques et les dynamiques urbaines contemporaines, dans leur dimension transcalaire, à l’image du travail prospectif effectué sur les quarante kilomètres du territoire de Seine-Aval, à l’issue duquel, de manière plus opérationnelle, des transformations concrètes ont été réalisées, en particulier par l’Agence TER. Les ateliers des territoires mettant en jeu les aléas, et la vulnérabilité des territoires furent la suite logique de ces expériences, qui portaient aussi bien sur la méthode de travail que sur les dispositifs spatiaux. Je dois dire que nous avons initié et mené ces études avec un grand enthousiasme.
La difficulté du sujet était stimulante, nous le savions déjà, mais la méthode de travail inédite, et ajustée au gré des études, était une chance et une ouverture considérable. Le caractère pluridisciplinaire « en temps réel », et non pas sous la forme d’expertises successives et dissociées, ressemblait, à l’échelle territoriale, aux pratiques de conception des édifices que nous partagions avec nos amis ingénieurs les plus proches, sous la forme d’un forum ouvert et d’un brainstorming permanent.
Mais la principale innovation, à mettre au crédit de la Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN) et des élus et institutions engagés, consistait à rassembler autour d’une même table, pendant des journées entières, des acteurs aussi différents que les agents de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) ou de la direction départementale des territoires (DDT), des élus et techniciens des collectivités, des associations, des experts indépendants, et même parfois, le préfet, lui-même mobilisé pour l’occasion, prenant le crayon. Si, nous l’avons bien vu à Tours ! Passer ainsi une journée entière à arpenter le terrain, avec des élus et des experts des services de l’État commentant les sites, apparaissait comme une sorte de luxe rare et pourtant résolument indispensable.
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Frédéric Bonnet
Parc La Ereta, sur les pentes du mont Benacantil, à Alicante (Espagne), 1993–2003, Obras architectes. La végétation et l’ombre ont remplacé l’aridité et l’érosion, un exemple de résilience. ©Frédéric Bonnet/Obras