L’agence de paysage Base, créée en 2000 par Bertrand Vignal et Franck Poirier, se distingue dans la conception d’espaces publics par une approche immersive des milieux et un rapport renouvelé à la nature.
Vous avez fondé Base dès votre sortie de l’École nationale supérieure de paysage (ENSP) de Versailles. Quelle est sa particularité ?
Franck Poirier : Nous sommes nés de projets de parcs, puis nous avons été remarqués pour notre capacité à inventer des pro- grammes avec des approches expérimentales du paysage.
Bertrand Vignal : En parallèle, nous avons réalisé des réaménagements d’espaces publics et des études de territoire, avec une spécialisation marquée sur les aires de jeux. Le ludique est un sujet qui nous a toujours beaucoup intéressés, car il s’agit d’un espace d’une extrême liberté et pourtant très normé. Il en découle la question du risque, de l’appropriation libre, de l’imaginaire et du géo‑récit qui sont inhérents à notre pratique. C’est l’entrée que nous essayons de tenir le plus longtemps possible, jusqu’à la micro‑échelle. Nous parlons beaucoup de milieux et d’interrelations, ce qui définit notre pratique du paysage. Nous sommes très à l’aise sur cette question, plutôt que sur la composition paysagère qui nous semble être une fin.
Comment votre pratique de l’urbanisme a‑t-elle commencé ?
B. V. : Nous n’avons pas du tout été formés à l’urbanisme durant nos études, c’est un pan de notre travail qui est apparu plus tard, à partir des années 2010. Nous avons démarré par un premier projet avec l’agence Reichen et Robert Associés. Nous nous sommes tournés vers la théorie du landscape urbanism (urbanisme paysager), qui conçoit la matrice des espaces à partir des dynamiques naturelles.
F. P. : Nous proposons des usages qui offrent une attractivité nouvelle dans le développement urbain des quartiers. Cette vision par les extérieurs et les espaces communs a pris de l’ampleur dans les opérations d’aménagement, en raison du temps long de l’urbanisme, quasiment celui d’une génération. Les habitants vivent dans des sites en chantier pendant une vingtaine d’années. Un paysagiste propose donc des aménités disponibles rapidement, il est une sorte de palliatif tout au long de la construction. Nous étions plutôt partenaires dans les concours, puis les maîtres d’ouvrage ont changé de regard et nous sommes devenus mandataires de groupement.
B. V. : Nous avons ensuite eu des commandes plus directes, mais on ne cherche pas à être dans la course aux réaménagements de toutes les ZAC de France. Dans chaque commande, nous regardons la place que pourrait prendre le paysage. En 2013, nous avons travaillé sur le réaménagement en parc de l’ancienne caserne Blandan, au centre de Lyon. Nous avions un ratio de prix très faible, mais nous avons souhaité offrir un maximum d’usage et d’équipements sur les 17 hectares: plaine des douves, front horticole, front forestier, jardin de reconquête, aires de jeux, de sport, agrès… Ce projet a préfiguré de nouveaux questionnements sur la ressource et l’investissement sans dégrader le milieu naturel, qui ont conditionné nos manières de réfléchir.
Pourquoi le paysage est-il devenu une composante majeure des projets d’aménagement ?
F. P. : Aujourd’hui, les maîtrises d’ouvrage sont de plus en plus enclines à préférer des paysagistes-urbanistes plutôt que des architectes-urbanistes qui imaginent la ville par le « plein ». Nous pensons l’espace public par le vide en le regardant comme un lieu commun. Il y a une sorte de sécabilité de la ville par l’architecture, qui ramène à l’objet et à l’unité fonctionnelle de l’habitat, alors que les grands enjeux de demain se situent dans l’espace public. Le paysagiste apporte une transversalité en connaissance de tous les bénéfices et vertus que la nature apporte, sur le rafraîchissement de la ville et le bien‑être humain. L’approche par le paysage offre une vision à plus grande échelle. L’animation d’un quartier réside principalement dans la qualité de ses espaces publics. Il faut imaginer des lieux de fierté et d’adressage que les habitants pourront s’approprier.
Propos recueillis par Maider Darricau
© Base, Le réaménagement des quais de la rive droite du Rhône.