« Densifier un espace implique des coûts accrus »
Yvain Dobel, directeur de pôle Aménagement opérationnel et durable à la Scet, explore les nouveaux montages économiques et juridiques du cycle de l’aménagement, en regard du « zéro artificialisation nette » (ZAN) et d’une inévitable densification de l’existant.
Comment la densification urbaine peut- elle contribuer à atteindre l’objectif ZAN à horizon 2050, et quels sont les principaux défis économiques et juridiques auxquels doit faire face l’aménagement ?
L’objectif ZAN soulève de nombreux défis opérationnels, au premier rang desquels la faisabilité de projets d’aménagement en recyclage urbain, et en premier lieu, la mobilisation des gisements fonciers, premier acte de la chaîne de valeur. Pour y parvenir dans le contexte actuel, la problématique est de rendre viable une action qui l’est déjà de moins en moins ; le modèle classique s’essoufflait déjà, pris en ciseau entre dépenses en hausse (foncier sous pression, inflation des coûts travaux) et recettes de cessions de charges foncières stables, voire en baisse en marché détendu. Les friches en sont le parfait exemple : il faut les transformer, les réhabiliter, et changer leur usage et leur destination pour qu’elles soient aménageables. Cependant, recycler une friche est coûteux, et l’équilibre de la chaîne de valeur immobilière ne fonctionne pas. Comparativement à un terrain d’extension, une friche augmente les coûts d’acquisition et de mise en état, tandis que les coûts d’équipement et d’aménités (espaces publics…) restent sensiblement les mêmes. Même si les terrains sont généralement mieux placés et donc mieux vendus, un déficit financier apparaît. Pour sortir de la dépendance aux subventions (Fonds friche, Fonds vert, etc.), risquée en contexte budgétaire de l’État, la solution immédiate réside dans la densification. Celle-ci est ambivalente, car au-delà du bilan de l’opération d’aménagement seule, d’une part, cela vient loger du risque sur les opérations de construction, à commercialiser, et, d’autre part, cela peut également reporter des coûts sur la collectivité, en équipements scolaires, par exemple.
Quels sont les principaux postes de dépenses dans la densification de ces friches ?
La mise en état d’un projet d’aménagement est un processus complexe de la maîtrise foncière à la cession des terrains pour construction. Le coût de revient du recyclage foncier d’une friche représente autour de 50 % des dépenses totales dans un bilan d’aménagement, incluant l’acquisition aux travaux de déconstruction et dépollution, ainsi que les frais de portage, facteur temps de ce pré-aménagement. Nous accompagnons une collectivité en Ile-de-France de 9 000 habitant·es, Breuillet (Essonne), qui porte un projet d’aménagement sur une ancienne friche à hauteur de 450 logements, soit presque 10 % de sa population. Dans ce cas, le foncier a été acquis par l’établissement public foncier. Cette stratégie à long terme vise à éviter la spéculation, à anticiper le départ d’entreprises et à assumer le portage financier. Cela permet de prévenir les fluctuations du marché et de garantir une stabilité financière. Afin de rendre le projet attractif pour les acteurs impliqués, une solution possible est d’augmenter le nombre de logements. Cependant, cette approche n’est pas nécessairement acceptée par la population et elle peut influencer la spéculation foncière. En effet, augmenter la densité des logements peut entraîner une augmentation de la valeur foncière, ce qui aggrave le problème à long terme. Il y a un deuxième point d’attention : est-ce qu’une ville aussi dense est souhaitable ? Si doubler la densité pour équilibrer un projet crée une rupture avec l’environnement bâti, cela pose une question majeure. La densification excessive peut altérer le caractère de la ville et affecter la qualité de vie de ses habitants. Il est donc essentiel de trouver un équilibre entre la nécessité de développement et la préservation de l’identité urbaine.
Une question sémantique : en travaillant sur le « déjà-là », peut-on encore parler de « gisement foncier » ? Ce terme a‑t-il encore un sens ?
En effet, le foncier peut être considéré comme la matière première de l’aménagement. La loi climat et résilience définit une friche comme « tout bien ou droit immobilier, bâti ou non bâti, inutilisé et dont l’état, la configuration ou l’occupation totale ou partielle ne permet pas un réemploi sans un aménagement ou des travaux préalables » [article L.111–26 du Code de l’urbanisme, ndlr]. Cette définition n’est pas neutre, car elle implique des coûts de transformation significatifs. Cela justifie des règles assouplies, comme la réduction des exigences en matière de stationnement, afin d’éviter de créer une place de parking par logement, et de diminuer les charges supportées par les opérateurs.
Quels sont les cas de figure les plus parlants en matière de nouvelle donne de modèle économique et de montage foncier ?
Revenons à la base de l’enjeu de la chaîne de valeur du foncier. Dans le modèle classique des précédentes décennies, le foncier était peu cher, et l’économie de l’aménagement fonctionnait ainsi : un projet était viabilisé, cédé aux opérateurs, et les recettes provenaient des dépenses des promoteurs, des droits à construire et des coûts de construction, le promoteur cédant aux investisseurs ou usagers finaux. Cette chaîne de valeur était équilibrée, et chaque acteur retrouvait ses marges. Cependant, les choses ont commencé à se compliquer avec l’augmentation du coût du foncier et un marché immobilier atone, voire en récession dans certaines régions.
Propos recueillis par Rodolphe Casso et Maider Darricau
Lire la suite de cet entretien dans le numéro 441 « Dense, dense, dense » en version papier ou en version numérique
Photo de couverture : Les ruelles étroites de Grasse (Alpes-Maritimes). Crédit : Lahcène Abib/Divergence
Photo : Yvain Dobel. Crédit : D. R.
Photo : En Haute-Savoie, la zone d’activité du Balvay, à Rumilly : « L’enjeu a été de dessiner les premières pistes d’intervention, dans le cadre d’une logique d’urbanisme négocié – tenant compte des enjeux propres aux entreprises déjà implantées dans la zone. » Crédit : Ville en Oeuvre / Groupe Scet