L’urbanisme à l’ère de l’IA
Les lundi 10 et mardi 11 février 2025, la France a accueilli le Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle. Un évènement planétaire réunissant de nombreux chefs d’État, chercheurs et patrons des entreprises du secteur, conclu par des annonces financières fracassantes, réponses à celles du nouveau président des États-Unis quelques jours plus tôt : plus de 100 milliards d’euros d’investissements privés pour la France – et 200 milliards pour l’Europe – dans les prochaines années pour développer les infrastructures, applications et filières nécessaires à la progression de cette économie du futur qui se conjugue désormais au présent.
Il était donc temps de se pencher sur les apports potentiels de l’IA dans le ménagement et le développement des villes et des territoires, tels qu’ils sont d’ores et déjà documentés par la recherche et mis en pratique par certains territoires d’innovation et grands groupes industriels.
Pas une révolution, mais un ensemble de technologies qui arrivent progressivement à maturité (entendre profitabilité) en achevant de bousculer un « ancien monde » qui ne parvient plus, depuis presque une quinzaine d’années, à suivre les transformations majeures induites par les industries numériques et digitales.
Un monde pris de vitesse par l’ubérisation de certains services en matière de mobilité (VTC, autopartage, trottinettes en libre-service, etc.), de logement (Airbnb, Booking, etc.), de commerce et services (Amazon, Deliveroo, etc.), et qui peine à planifier le déploiement de ces innovations, parvenant tout juste à les réguler ou réglementer après leur mise en service.
Face à ces constats se dresse aujourd’hui la conviction que l’IA, parce qu’elle peut traiter des volumes astronomiques d’informations dans la quasi-instantanéité, est la seule façon de (re)gagner du temps et pourquoi pas, même d’être à nouveau capable d’anticiper.
Dans le domaine de l’urbanisme, l’IA est un outil formidable pour collecter, agréger et raffiner les données pour réduire la complexité de certaines problématiques, pour optimiser les capacités du « déjà-là » et diriger les flux et les usages, pour générer des hypothèses disruptives nécessaires à la lutte contre le changement climatique et à l’essor de trajectoires de développement respectueuses des écosystèmes naturels, mais aussi sociaux et économiques.
Revers de la médaille : l’IA génère des besoins phénoménaux en matière de ressources – particulièrement d’électricité et d’eau – pour le fonctionnement des data centers, et elle nécessite un encadrement humain de vérification experte de ses résultats qui sont consubstantiellement enfermés dans les statistiques, ce qu’elle produit étant par nature moyen ou médian, et acontextuel.
Cet éloignement des besoins et des désirs humains, à l’échelle sensible du local, pose des questions politiques au sens démocratique et même éthique du terme, certains n’hésitant pas – tel le philosophe et essayiste Gaspard Koenig – à la considérer comme un poison lent administré à l’intelligence humaine.
Notons sur ce point que les annonces financières du Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle ont été assorties d’un appel « en faveur d’IA plus ouvertes et inclusives ».
En somme, il est grand temps de réduire le caractère pléonastique du terme « intelligence artificielle¹ » en accueillant et resituant les algorithmes et leurs produits dans l’intelligence.
Julien Meyrignac
1/Artificiel : « Qui est le produit de l’activité, de l’habileté humaine (opposé à “naturel”) », dictionnaire Le Robert.
Photo de couverture : Jumeau numérique de la région métropolitaine de Barcelone (détail). © Aretian
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