Du foncier aux sols vivants : nouvelle frontière, nouvelle filière

Malmenés, exploités, voire ignorés, les sols, terres d’enjeux à l’heure du « zéro artificialisation nette», se rappellent cependant régulièrement à notre mémoire. Il serait temps de regarder autrement ce patrimoine vivant sans frontières.

 

« Il y a tou­jours eu des impru­dents qui dila­pi­daient le sol et des sages qui savaient le conser­ver », disait André Sieg­fried, l’un des pion­niers de la géographie électorale, dans un article méconnu de 1949. Sécheresse, risque de désertification, lutte contre l’artificialisation, menaces sur la bio­di­ver­sité ter­restre, sou­ve­rai­neté ali­men­taire ou encore appau­vris­se­ment des cultures… Ces mani­fes­ta­tions d’une crise mul­ti­forme sont rare­ment rap-portées à leur dénominateur com­mun : les sols, dont le mot est peu pro­noncé. Or, ces enjeux vont bien au-delà de la seule lutte contre l’artificialisation et du fameux objec­tif « zéro arti­fi­cia­li­sa­tion nette » (ZAN). Nous conti­nuons de dégrader les sols, que ce soit par arti­fi­cia­li­sa­tion ou par toute une série d’autres altérations: pol­lu­tion, consom­ma­tions et pra­tiques agri­coles pro­vo­quant la sécheresse, surfréquentation, etc. Elles nous invitent à par­ler plus glo­ba­le­ment d’anthropisation. C’est pour par­ti­ci­per à com­bler ce manque dans le récit – sur­tout dans la pla­ni­fi­ca­tion de la trans­for­ma­tion écologique – et pro­mou­voir une ambi­tieuse poli­tique des sols, qu’a été écrit l’ouvrage col­lec­tif La Tran­si­tion foncière et mis sur pied l’Institut de la tran­si­tion foncière.

Éclairer la caverne : chan­ger de regard sur les sols

Pour­quoi, au fond, connais­sons-nous si mal les sols ? Les Français de 2023 sont sensibilisés à la problématique énergétique et com­prennent l’impératif d’une ges­tion durable de l’énergie. Ce n’est mal­heu­reu­se­ment pas le cas d’une ges­tion durable des sols. Alors que chaque mati­nale de radio, l’hiver, habi­tue les citoyens à des débats énergétiques et les fami­lia­rise avec des notions aus­si tech­niques que la « puis­sance installée » ou « l’intermittence » des énergies renou­ve­lables, l’absence de pédagogie sur les sols contraste tragiquement.

Il est vrai qu’un bref retour sur nos représentations du sol consti­tue l’une des expli­ca­tions. Le sol, la terre et ce qu’elle recouvre, c’est l’Hadès : si le Para­dis est céleste, l’Enfer est sou­ter­rain, abys­sal. La phi­lo­so­phie occi­den­tale repose sur la sor­tie de la caverne, et le che­mi­ne­ment vers la lumière dont on est privé sous les entrailles de la terre. C’est cette même terre qui accueille nos morts, pour nous protéger d’eux et de leur putréfaction. Une toile de Jérôme Bosch suf­fit pour com­prendre à quoi ren­voient les sols dans le sens com­mun occi­den­tal. Exis­ter, ex sis­tere, c’est étymologiquement se tenir « hors de », c’est sor­tir de la glaise indifférenciée. Pour les trois reli­gions du Livre elles-mêmes, le pre­mier homme, Adam, est en langue sémitique, « le ter­reux », et la plu­part des mytho­lo­gies et reli­gions du crois­sant fer­tile font naître l’humanité de l’argile. Ain­si, le sol, s’il est ce vers quoi nous revien­drons, à quoi nous des­ti­nons nos dépouilles, est aus­si ce dont nous devons sor­tir et que nous devons lais­ser derrière nous.

Cette igno­rance a été également renforcée par le développement de notre mode de pro­duc­tion capi­ta­liste. Une approche pro­duc­ti­viste, qui réduit le sol agri­cole à un ren­de­ment poten­tiel. Une approche uti­li­ta­riste, qui réduit le sol au fon­cier, comme un simple sup­port de construc­tion et de droits à construire. Une approche extrac­ti­viste, encore bien présente (mines de terres rares, essor de la géothermie, du minage en eau pro­fonde), qui en fait un réservoir de res­sources mar­chandes. Ces approches, pour se développer sans contraintes ni limites, ont eu besoin de notre igno­rance. Il est donc urgent de refaire toute la place qui leur est due, dans le débat citoyen comme dans nos pra­tiques opérationnelles, aux savoirs bien connus des bio­lo­gistes, pédologues, agro­nomes et écologues.

Lire la suite de cet article dans le n°435

Jean Guio­ny

L’Enfer, pan­neau de droite du trip­tyque Le Jar­din des délices, Jérôme Bosch. 

©Vincent Steen­berg

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


À pro­pos

Depuis 1932, Urba­nisme est le creu­set d’une réflexion per­ma­nente et de dis­cus­sions fécondes sur les enjeux sociaux, cultu­rels, ter­ri­to­riaux de la pro­duc­tion urbaine. La revue a tra­ver­sé les époques en réaf­fir­mant constam­ment l’originalité de sa ligne édi­to­riale et la qua­li­té de ses conte­nus, par le dia­logue entre cher­cheurs, opé­ra­teurs et déci­deurs, avec des regards pluriels.


CONTACT

01 45 45 45 00


News­let­ter

Infor­ma­tions légales
Pour rece­voir nos news­let­ters. Confor­mé­ment à l’ar­ticle 27 de la loi du 6 jan­vier 1978 et du règle­ment (UE) 2016/679 du Par­le­ment euro­péen et du Conseil du 27 avril 2016, vous dis­po­sez d’un droit d’ac­cès, de rec­ti­fi­ca­tions et d’op­po­si­tion, en nous contac­tant. Pour toutes infor­ma­tions, vous pou­vez accé­der à la poli­tique de pro­tec­tion des don­nées.


Menus