Élus et urbanistes : place à la concorde

Les relations entre élus et urbanistes se nourrissent mutuellement, dans un dialogue parfois piquant. Si les maires comptent beaucoup sur le savoir-faire de ces professionnels pour concrétiser leur vision sur le territoire, ils attendent aussi de leur part une plus grande capacité d’écoute. De l’art subtil de la diplomatie urbaine.

 

Lorsque l’on inter­roge des élus sur leur nécessité de tra­vailler avec des urba­nistes, les réponses ne laissent pas de place au doute. « Nous sommes à un tour­nant his­to­rique, estime Johan­na Rol­land, la maire de Nantes et présidente de la Métropole. Il faut repen­ser la ville – la façon d’y pro­duire et d’y habi­ter –, réinventer notre rap­port à l’environnement. Pour mener à bien cette bifur­ca­tion, nous avons besoin des urba­nistes. C’est ensemble que nous pour­rons gar­der la maîtrise col­lec­tive de notre des­tin et de la manière dont on fabrique nos ter­ri­toires. »

De son côté, Phi­lippe Rio, maire com­mu­niste de Gri­gny (Essonne), ne dit pas autre chose : « Plus que jamais, les métiers de la ville sont déterminants pour être à l’écoute des ter­ri­toires – de leurs forces et fai­blesses –, pour aider à écrire des récits de trans­for­ma­tion et appor­ter des solu­tions au chan­ge­ment cli­ma­tique. » Plus concrètement, les urba­nistes sont atten­dus par les élus sur des ques­tions tant tech­niques que stratégiques : pour élaborer un règlement du PLU [plan local d’urbanisme, ndlr] comme pour développer de « nou­velles mobilités » ou des « filières indus­trielles », pointe Vir­gi­nie Caro­lo-Lutrot, maire de Port-Jérôme-sur-Seine (Seine-Mari­time) et présidente de Caux Seine agglo.

Les édiles peuvent comp­ter sur deux formes de com­pa­gnon­nage : les urba­nistes qui tra­vaillent pour leur col­lec­ti­vité, et ceux désignés dans le cadre de marchés pour un pro­jet en par­ti­cu­lier. Cécile Helle, la maire d’Avignon (Vau­cluse), apprécie de pou­voir s’appuyer sur les deux : « Il est essen­tiel d’en intégrer dans mes équipes pour bien prendre en compte, au quo­ti­dien, les enjeux urbains et ter­ri­to­riaux dans le contexte de la tran­si­tion écologique et cli­ma­tique. Mais il est aus­si intéressant d’aller cher­cher des expériences venues d’ailleurs. » D’autres « références » qui sont en mesure de « crédibiliser » ses pro­jets, estime-t-elle.

Com­pen­ser la fai­blesse de l’ingénierie interne

Le recours aux urba­nistes extérieurs dépend déjà de l’ingénierie dis­po­nible en interne, fait remar­quer Jean-Phi­lippe Dugoin- Clément, maire de Men­ne­cy (Essonne), également vice-président de la Région Ile-de-France. Même bien four­nis, les ser­vices sont «happés» au quo­ti­dien par la somme de tâches à effec­tuer, explique le président de Grand Paris Aménagement. Mais sur- tout, « plus que par le passé, les collectivités ont du mal à recru­ter des per­son­nels ultra-qualifiés ».

Une carence qui concerne sur­tout les plus petites collectivités, qui n’en ont pas les moyens. Pour­tant, elles aus­si sont encou- ragées à por­ter des pro­jets de plus en plus ambi­tieux. C’est pour­quoi l’association Intercommunalités de France invite ses adhérents à mus­cler leurs ser­vices. Elle leur suggère aus­si de « ne pas enga­ger de crédits opérationnels sans libérer avant des crédits d’ingénierie », comme le précise Vir­gi­nie Caro­lo-Lutrot, également vice-présidente de l’association.

Pour l’élue, lorsque les collectivités lancent un marché d’urbanisme, elles cherchent sur­tout un « regard extérieur cru­cial ». À ce titre, l’expérience du 15e concours Euro­pan « Villes pro­duc­tives », auquel Port-Jérôme-sur-Seine a par­ti­cipé en 2017, l’a marquée : « On sor­tait enfin du car­can tech­nique pour racon­ter une his­toire, un “récit poétique” », s’enthousiasme-t-elle, ajou­tant que ces pro­fes­sion­nels sont « beau­coup plus que de simples tech­ni­ciens » et n’hésitant pas la com­pa­rai­son avec le plan de lotis­se­ment d’une entre­prise de VRD [voi­rie et tra­vaux divers] « qui ne raconte rien ». Vir­gi­nie Caro­lo-Lutrot ajoute qu’Europan a notam­ment conduit ses équipes « à tra­vailler sur la mise en valeur de lieux com­muns », avec un concept autour de roof­tops pro­po­sant des vues acces­sibles, à l’inverse des pro­jets clas­siques dans les­quels, dans un bâtiment, « plus tu montes, plus c’est cher ». Ce recours aux urba­nistes per­met ain­si de façonner une « vision de la ville que n’ont pas tous les maires, reconnaît Cécile Helle. Ils sont capables d’inscrire cette vision dans une tem­po­ra­lité à un hori­zon de dix ou vingt ans ». Une lon­gueur et une hau­teur de vue qui nour­rit tous les maires interrogés.

Lucie Roma­no

© François Marcuz

Sur la pointe ouest de l’île de Nantes, une nature amplifiée par l’a­te­lier Osty et associés, au sein de tis­sus urbains travaillés avec l’urbaniste Claire Schor­ter (laq).

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Un commentaire

  • noumo

    27 mai 2024 à 18h39

    “Si les col­lec­ti­vi­tés ont du mal à recru­ter un Urba­niste : interne ou en avoir en qua­li­té de consul­tant, c’est vrai­ment dom­mage et c’est une erreur fatale. Bien sûr que ce qui bloque c’est la ques­tion de rému­né­ra­tion. (très peu dans la dota­tion de fonctionnement)
    Pour­tant avoir son urba­niste, c’est aus­si la garan­tie de la réus­sie des grands pro­jets d’a­mé­na­ge­ment et d’é­qui­pe­ment (urbain), et sur­tout l’ap­pli­ca­tion du droit qui peut être néces­saire à la concep­tion des outils d’ur­ba­nisme (PLU, RNU, SCOT, PC, PA etc)
    Néan­moins, une nuance est à noter : les grandes com­munes, à ce jour recrute des urba­nistes, alors qu’il y a une décen­nie elles sol­li­ci­taient les ser­vices de l’é­tat (ancien DDE) A ne pas oublier que les EPECI eu égard les com­pé­tences reçues de leurs membres, doivent si je ne m’a­buse pas, être dotés d’un grand ser­vice de conseil/urbaniste afin de pal­lier les imper­fec­tions ren­con­trées à ce jour au sein de de l’en­ti­té urba­nisme qui ne gère que : des autorisations …

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