Le 8 janvier 2024, la revue Urbanisme a réuni les principales instances représentatives du métier d’urbaniste pour débattre sur les enjeux et perspectives de la profession : la Société française des urbanistes (SFU), l’Office professionnel de qualification des urbanistes (OPQU), le Conseil français des urbanistes (CFDU), le Collectif national des jeunes urbanistes (CNJU) et Urbanistes des Territoires (UT).
Pouvez-vous nous rappeler votre parcours au sein de vos entités respectives ?
Dominique Lancrenon : Je suis urbaniste, rentrée à la SFU en 1995–1996, et je me suis rapidement investie sur des questions européennes auprès du Conseil européen des urbanistes, dont j’ai été présidente, et qui rassemble aujourd’hui des associations d’urbanistes de 27 pays en Europe. Ma pratique professionnelle a été en bureau d’études privé et s’oriente aujourd’hui davantage sur les enjeux de participation citoyenne en urbanisme et aménagement du territoire.
Laurent Vigneau : À l’origine, je suis ingénieur topographe et je suis rentré à la SFU en 1992, quand j’étais encore étudiant. Ce qui m’intéressait, déjà à l’époque, était la rencontre avec les pratiques actuelles de l’urbanisme et les héritages, les enseignements du passé. C’est encore ce qu’on essaie de développer aujourd’hui avec Dominique. Pour rappel, la SFU a été créée en 1911. J’ai bâti ma carrière d’urbaniste au sein de sociétés d’ingénierie, principalement Artelia, dont je suis aujourd’hui directeur de la recherche et de l’innovation.
Denis Caraire : Je suis président de l’Office professionnel de qualification des urbanistes (OPQU) créé en 1998, et cofondateur de la start-up d’urbanisme Villes Vivantes. L’OPQU a délivré depuis sa création une qualification volontaire à 1200 professionnels sur la base d’un référentiel métier, d’une part, et d’une déontologie, d’autre part. Les professionnels et les structures qui sollicitent un certificat de qualification, et qui contribuent à la vie économique de l’OPQU, viennent vers nous pour relier leur pratique professionnelle à des points de repère partagés. Nous ne sommes pas un mouvement intellectuel, mais un organisme pro- fessionnel de qualification, qui n’est pas un « gardien du temple », puisque notre référentiel est en évolution. Nous le mettons à jour, pour intégrer, par exemple, l’acte d’écrire la règle d’urbanisme, qui est un élément clé de la profession. Nous avons aussi travaillé sur un statut d’urbaniste OPQU junior, afin d’accueillir dans la profession des praticiens et praticiennes au sortir de leur formation, tout en conservant notre raison d’être, qui est de délivrer une qualification professionnelle basée sur l’expérience.
Bernard Lensel : Je suis urbaniste et maire du Poizat-Lalleyriat [dans l’Ain, ndlr]. Urbanistes des Territoires (UT) a été créé en 1982. Au départ, nous sommes une branche de la SFU, qui s’est particulièrement préoccupée de la décentralisation, mais aussi du rapport entre maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre. Il y avait un espace flou entre les deux. Nous avons travaillé là-dessus pour dire que la maîtrise d’ouvrage est en amont par rapport à la maîtrise d’œuvre, et qu’il est bon, déontologiquement, qu’elles soient séparées. Voici les deux points importants qui ont joué dans notre association. En 1996, nous avons cocréé le CFDU pour tenter une fédération et, en 1998, nous avons été cocréateurs de l’OPQU.
Christophe Mathieu : De formation en urbanisme et architecture, j’ai commencé mon activité en structure privée, pour rejoindre au bout de cinq ou six ans la fonction publique territoriale. Je suis aujourd’hui directeur de l’aménagement territorial et de la stratégie foncière à Limoges Métropole. Ma rencontre avec Urbanistes des Territoires s’est faite il y a dix ans. Pour ma part, j’ai eu la chance de passer in extremis avec une reconnaissance technique du métier sur la filière et du poste que j’occupais, mais beaucoup d’autres derrière moi peinent encore, après plusieurs années, à être reconnus dans la fonction publique et, en général, dans la fonction territoriale. C’est ce qui m’a fait rejoindre Urbanistes des Territoires, pour essayer de militer et trouver des moyens d’action, de reconnaissance, à l’heure où, je pense, l’ensemble des fonctions publiques ont besoin de cette reconnaissance et de ce métier-là pour venir construire nos territoires, qui sont tous aussi différents les uns que les autres.
Pascale Poupinot : Je suis urbaniste, présidente du Conseil français des urbanistes (CFDU), et j’ai aussi été présidente de l’OPQU. Comme l’a dit Bernard, le CFDU a été créé en 1996, avec des sorties et des entrées d’associations, mais sa complémentarité actuelle, c’est à la fois de réunir des associations nationales et régionales. Je pense qu’on a besoin, en tant que professionnels, de se réunir au niveau régional, c’est aussi intéressant. Au CFDU, il y a également les membres associés telles que les grandes fédérations, que ça soit la fédération des CAUE [conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement] et la Fédération nationale des agences d’urbanisme [Fnau] ou le Cinov [Fédération des syndicats des métiers de la prestation intellectuelle du conseil, de l’ingénierie et du numérique]…
Hugo Réveillac : Je travaille dans l’agence HDZ et suis délégué général du CNJU, anciennement son président. J’ai rejoint, au début de mes études, ce collectif, qui s’est créé il y a une quinzaine d’années, en réaction à la fermeture du concours d’ingénieur territorial et face au constat qu’il n’y avait peut‑être pas trop eu de réactions de la part d’autres associations à l’époque.
En 2016, certaines de vos associations ont contribué à un livre blanc transmis à la ministre du Logement et de l’Habitat durable d’alors, Emmanuelle Cosse, et qui exposait trois grandes propositions. La première était « Instaurer et protéger le titre d’urbaniste », un titre accessible par un diplôme ou par la validation des acquis professionnels. Or, cette question ne semble toujours pas tranchée aujourd’hui. Où en sommes-nous ?
Hugo Réveillac : Pour le CNJU, l’urbaniste est un acteur du champ disciplinaire qu’est l’urbanisme, du développement des territoires et de la fabrique de la ville. L’urbaniste n’a donc pas le monopole de l’urbanisme. Il n’agit jamais seul et il n’engage pas le développement territorial seul: il le porte avec d’autres professionnels en accompagnant les élus décisionnaires. La diversité des situations et l’évolution de la profession font qu’un titre protégé n’a pas de sens selon le CNJU ; par ailleurs, on a déjà eu des arbitrages des fédérations d’employeurs et de l’État qui ont balayé cette idée. La création de la certification professionnelle d’urbaniste – un diplôme de niveau master, accessible en formation continue ou par la validation d’une expérience professionnelle – va dans le sens d’une meilleure reconnaissance, mais il ne constitue pas et ne doit pas constituer un titre au sens d’une profession protégée.
Pascale Poupinot : Le champ de l’urbanisme est tellement vaste qu’aucun urbaniste ne peut prétendre traiter tous les enjeux en présence. La valeur ajoutée fondamentale de l’urbaniste consiste en son savoir-faire à différentes échelles. Il doit être capable d’intervenir à l’échelle de l’îlot comme à celle de la région et même au-delà, et de faire travailler à ces échelles les différents experts, les différentes disciplines qui composent l’urbanisme. Ce champ de l’urbanisme ne cesse d’ailleurs de s’élargir au fil des lois, le sujet du « zéro artificialisation nette » [ZAN], par exemple, implique de traiter des problématiques comme l’agriculture, la santé, l’alimentation, etc. L’urbaniste est celui qui va savoir articuler ces questions aux bonnes échelles. Ce qui est une expertise particulière, qui s’apprend ou qui s’acquiert.
Dominique Lancrenon: Le Conseil européen des urbanistes a approuvé et publié un guide de recommandations sur la qualification des urbanistes en Europe. Ce guide définit un certain nombre de matières et connaissances de base que doivent maîtriser les urbanistes. Nous avons travaillé sur le socle minimal de connaissances permettant d’aboutir à une reconnaissance mutuelle des qualifications entre pays européens et engagé la démarche concrètement entre la France et l’Irlande. Et nous avons constaté que certains enseignements fondamentaux en Irlande, notamment concernant l’environnement, sont pratiquement absents de certaines formations en France. La ligne de la SFU reste très clairement en faveur de la reconnaissance de la pratique professionnelle par l’OPQU, qui peut démontrer l’intégration des connaissances en environnement, ou dans d’autres domaines, acquises en dehors du cursus de formation.
Denis Caraire: L’OPQU reconnaît la valeur des diplômes en urbanisme: l’Aperau [Association pour la promotion de l’enseignement et de la recherche en aménagement et urbanisme] fait partie de notre conseil d’administration, nous assurons, à intervalles réguliers, l’évaluation des masters 2 labellisés Aperau; enfin, un diplôme d’urbanisme labellisé Aperau permet de solliciter la qualification à partir de trois ans d’expérience professionnelle contre cinq ans pour les autres diplômes. Le point de départ de la qualification par l’OPQU, c’est adhérer à une déontologie dont l’article 1 indique que l’urbaniste est au service des populations et des acteurs des territoires.
Ce premier critère a moins à voir avec la formation qu’avec la pratique professionnelle. La qualification OPQU n’est pas un titre, dans la mesure où elle est demandée par des professionnels volontaires, et où, par ailleurs, elle doit être renouvelée au bout de cinq ans, pour garantir qu’elle est bien attachée à des professionnels en exercice sur des bases validées par notre commission d’instruction et notre commission d’attribution, dans un processus répondant aux normes européennes d’attribution des qualifications professionnelles par des organismes indépendants. Notre conseil d’administration vient d’adopter un nouveau statut d’urbaniste junior OPQU, permettant d’accueillir dans la profession des jeunes diplômés en début d’exercice et en mettant à leur service des urbanistes référents.
À titre personnel, je soutiens tout combat pour qu’un diplôme d’urbanisme ouvre plus de portes qu’il n’en ouvre aujourd’hui, mais l’OPQU permet aussi la qualification d’urbanistes issus d’autres champs ou d’autres formations qui se sont formés par la pratique et qui font aussi la richesse de la profession.
Concernant la reconnaissance du diplôme de master en Urbanisme comme titre, peut-on considérer que deux ans suffisent à former un urbaniste ? Il y a trente ans, les formations de 3e cycle en urbanisme, labellisées par l’Aperau, duraient deux ans après la maîtrise (bac + 6). Ne devrait-on pas envisager une formation complète post-bac en cinq ans ?
Bernard Lensel : Nous convergeons sur un point, c’est que l’urbaniste est un assembleur. Il ne peut pas tout connaître, évidemment, mais il est un expert de l’assemblage. Qu’il y ait plusieurs formations initiales ne me gêne pas. Architecte ? C’est classique. Ingénieur? Je rends hommage à deux ingénieurs grands urbanistes : Yves Le Bars, notre fondateur qui était polytechnicien et urbaniste, et Jean Frébault, pour qui la pratique de l’urbanisme se décompose en quatre volets : stratégie, planification, opération et gestion. Concernant la formation, je ne suis pas persuadé qu’il faille démarrer par un cycle de licence, la diversité des parcours d’origine est une richesse. En revanche, rien n’empêche les étudiants d’aller jusqu’au doctorat, nous sommes plusieurs à Urbanisme des Territoires à l’avoir fait. Nous avons, avec nos amis du CNJU, abouti à la reconnaissance du titre avec la fiche professionnelle RNCP31470. C’est une victoire dans ce domaine. Mais l’expérience, c’est fondamental en urbanisme.
Pascale Poupinot : Tant que le terme « urbaniste » ne sera pas dans le Code de l’urbanisme, on n’aura pas instauré cette profession. Quand on regarde l’article sur le permis d’aménager, il est question, pour le volet conception, d’architecte, de paysagiste, mais la partie étude d’urbanisme…, on ne sait pas qui la fait. Il me semble que cela constituerait une avancée nécessaire, mais peut- être pas suffisante, pour avoir une reconnaissance et une visibilité.
Est-ce que le fait que l’urbaniste n’ait aucune possibilité d’être maître d’œuvre ne constitue pas une limite à sa reconnaissance ? Les architectes et les paysagistes conçoivent et inaugurent des espaces et des objets, les urbanistes animent et remettent des rapports. Ne faut-il pas offrir à l’urbaniste la possibilité d’une habilitation à la maîtrise d’œuvre ?
Hugo Réveillac : C’est un sujet épineux. L’urbaniste travaille en équipe pluridisciplinaire, avec des concepteurs, des architectes, et il participe, de fait, aux processus de conception. Mais pas en exécution, en suivi de travaux, etc. C’est pourtant un aspect intéressant de la production de l’urbain. Mais je ne sais pas si cela constitue une aspiration pour de nombreux urbanistes, et si nous devons mobiliser notre énergie sur cette question.
Dans la pratique, il existe deux familles d’urbanistes diplômés : ceux qui ont appris à dessiner en formation initiale – architectes, paysagistes – et les autres. Or, ce n’est pas en deux ans de master qu’on apprend à conceptualiser et à dessiner. Le fait que peu d’urbanistes aient ces compétences ne nuit-il pas à la reconnaissance du métier ? Être éloigné de la maîtrise d’œuvre ne disqualifie-t-il pas les réflexions pré-opérationnelles ?
Bernard Lensel : En tant que maire, j’ai affaire à un bureau d’études qui travaille sur notre révision du PLUiH [plan local d’urbanisme intercommunal valant programme local de l’habitat], où il n’y a pas de spatialiste, personne ne sait dessiner. Cela pose un gros problème.
Laurent Vigneau : Regardons le marché de l’emploi : il y a aujourd’hui une énorme pénurie de ressources humaines, il n’y a pas assez de candidats. Alors, nous embauchons des profils qui n’ont pas de formation initiale en urbanisme, ou qui viennent de filières internationales pour lesquelles on est dans l’incapacité de vérifier la pertinence. Des profils dont on ne peut pas vérifier l’aptitude, mais que l’on teste rapidement en interne. Peu d’entre eux développent la curiosité et l’agilité nécessaire pour assembler et il nous appartient de les encourager et de les accompagner dans la culture et la pratique transversale de l’urbanisme.
De plus, la commande publique en urbanisme est en train de changer totalement, elle est de plus en plus difficile à formuler et il y a, en conséquence, de plus en plus d’assistance en maîtrise d’ouvrage (AMO) pour traduire ce que souhaitent les collectivités, les élus, les citoyens, et formuler des cadres de missions clairs et précis. Les objectifs sont extrêmement confus pour ce qui concerne la façon d’occuper l’espace collectivement. La première mission des urbanistes, c’est devenu l’art de traduire les intentions de la maîtrise d’ouvrage, pour ensuite intégrer des équipes pluridisciplinaires de plus en plus étendues en termes de compétences, afin de répondre à ces objectifs, à ces intentions. C’est pour cela que je considère que le vrai sujet ce n’est pas les diplômes, c’est l’accompagnement des professionnels qui travaillent dans l’urbanisme pour leur donner accès au titre d’urbaniste.
Pascale Poupinot : Si les urbanistes faisaient de la maîtrise d’œuvre et produisaient du visible, la profession serait mieux identifiée. Mais il n’en demeurerait pas moins que ce qui se voit n’est qu’une partie des réflexions de l’urbaniste. Il ne faudrait pas que la profession soit réduite assez vite à la conception d’espaces publics.
Christophe Mathieu : Aujourd’hui, parmi les métiers qui manquent de reconnaissance, il y a celui de l’urbaniste en représentation de maîtrise d’ouvrage – à proximité des élus. Le discours adapté auprès de l’élu ou, inversement, la bonne compréhension des attentes d’élus peuvent construire progressivement un projet de territoire via une maîtrise d’ouvrage technique intégrée. Ces postes sont d’autant plus nécessaires que l’ensemble des orientations d’urbanisme à venir, guidées par les épidémies récentes ou par les lois d’urbanisation raisonnée, impliquent qu’il y ait un vrai bouleversement des consciences à opérer. La question de l’urbaniste en maîtrise d’ouvrage, à proximité des élus, en appui direct et régulier, c’est un métier qui me semble important et lacunaire dans ses différentes formes de reconnaissance.
Ces missions d’AMO impliquent pourtant des moyens pour réfléchir avec une focale élargie et apporter la meilleure aide à la décision. Cela s’apparente presque à une forme de recherche et développement (R&D). Comment mieux valoriser ces missions et le rôle qu’y joue l’urbaniste ?
Denis Caraire : La R&D en urbanisme est une clé pour concevoir les solutions et obtenir des impacts qui font défaut aujourd’hui, et dont la découverte, puis la mise en œuvre sont seules à même d’apporter à la profession une véritable reconnaissance, une reconnaissance par le résultat, non par le titre. Ce travail de recherche et développement reste aujourd’hui encore trop rare et dépendant des initiatives de collectivités et de professionnels pionniers.
Pascale Poupinot : Il y a des subventions mobilisables du côté de l’Europe pour financer la recherche et développement. Dans le cadre de certains programmes, notamment ceux liés au changement climatique, ou dans les programmes Urbact ou Interreg. Mais cela demande de monter des dossiers importants et donc du temps et de l’argent…
Laurent Vigneau : Il ne faut pas éluder le fait que la recherche en urbanisme est consistante et que nous n’en tirons globalement jamais assez le fruit. À la SFU, nous sommes animés par la volonté de faire de la recherche rétroactive, de revenir sur certains « savoirs perdus », qui peuvent répondre très efficacement aux enjeux d’aujourd’hui. Je pense à la Butte-Rouge [cité-jardin de Châtenay-Malabry, Hauts-de-Seine]: on a le sentiment que c’est un des meilleurs écoquartiers du monde, mais on ne l’a pas démontré. Il faudrait une recherche opérationnelle et efficace, qui consisterait à mettre des capteurs partout dans la Butte-Rouge pour essayer de démontrer les niveaux de biodiversité, d’infiltration, des jardins, des arbres, etc.
Et au même titre que l’urbaniste peut être chef d’orchestre d’une AMO, d’une maîtrise d’œuvre, d’un groupe de concepteurs, il peut être animateur des recherches liées à l’urbanisme dans des perspectives très opérationnelles.
Dominique Lancrenon : Nous sommes dans un contexte historique : d’ici à 2050, nous devons réduire de 40 % notre consommation d’énergie. Et les urbanistes disposent de nombreuses clés permettant d’y parvenir au travers de l’habitat partagé, de nouvelles manières de se déplacer, etc. Mais ils doivent innover et développer des réflexions inédites à toutes les échelles, de la région à l’îlot, en s’appuyant, en effet, sur la recherche.
Les jeunes sont clairement mobilisés face aux défis climatiques et environnementaux, mais quand ils cherchent un cursus pour s’engager, ils ne choisissent pas l’urbanisme…
Denis Caraire : Il y a un nouveau paradigme : c’est celui de l’impact. Les jeunes ont une aspiration aux résultats. Parmi les gens qui viennent se qualifier, de plus en plus le font pour se frotter à la question de comment avoir, maintenant ou à terme, un impact.
Laurent Vigneau : C’est l’école de la transition qui n’existe pas. Quelle que soit la filière, les jeunes sont de moins en moins satisfaits de ne pas bénéficier d’un enseignement de la transition.
Bernard Lensel : La mesure de l’effort de transition est une très grande lacune dans l’évaluation des politiques publiques. C’est un champ d’intervention assez évident pour les urbanistes.
Denis Caraire : La réalité, c’est que l’urbanisme contribue peu en actes aux transitions, pour la simple raison qu’il demeure le plus souvent dans le domaine des intentions. Particulièrement en planification : quand on lit les PADD [projets d’aménagement et de développement durables] ou les PLUi, il n’y a pratiquement aucune disposition concrète; pour le concret, c’est toujours « rendez-vous à la prochaine révision ».
Laurent Vigneau : C’est sur ce point que la recherche peut venir en aide, parce que la planification urbaine telle qu’encadrée par le Code de l’urbanisme devient has been face aux enjeux contemporains. Nous disposons aujourd’hui de forces de modélisation, de convocation de la donnée qui bouleversent totalement les process d’études de planification. Nous sommes capables de conceptualiser la planification sur des formats qui ne sont pas ceux de la loi et qui les ont dépassés très largement. Sans compter l’émergence de l’intelligence artificielle. Il y a un chantier ouvert de révision complète des méthodes qui ne peut que stimuler les jeunes professionnels. Convoquer un milliard de données territoriales, faire 2 000 scénarios, trouver des optimums avec l’intelligence artificielle sur le thème de la biodiversité… Ça change complètement la définition de la planification, la façon de la travailler et de la concerter.
Denis Caraire : Des concepts à la pratique, de la règle à ses conséquences, il y a aujourd’hui un fossé. L’urbaniste est avant tout au service des gens, or, dans l’opinion publique, la figure de l’urbaniste, c’est celui qui empêche de construire… L’urbaniste est au service des besoins des gens et non de leurs supposés intérêts intellectuels supérieurs dont il prétendrait être dépositaire
Dominique Lancrenon : Notre époque est aussi celle de l’exigence démocratique. Et à travers la mise à disposition et le partage de nos connaissances, les urbanistes sont en capacité de redonner du pouvoir aux citoyens, qui ont déjà accès à un volume important de données, au Géoportail de l’IGN, aux projections démographiques de l’Insee, aux statistiques économiques ou de mobilité, aux inventaires écologiques…
Une loi sur l’urbanisme, à l’instar de celle sur l’architecture de 1977, n’est-elle pas aujourd’hui nécessaire ?
Pascale Poupinot : Mais il y a actuellement une loi qui concerne l’urbanisme tous les trois mois !
Bernard Lensel : Élaborée sans consulter les urbanistes.
Hugo Réveillac : Je suis convaincu que le plus grand de nos défis n’est pas tant une question de législation, de normalisation. Pour moi, le plus gros de nos défis, c’est la question de la communication et, notamment, à l’attention des gens qui ne sont pas dans l’urbanisme. On peut saluer le travail réalisé avec les associations professionnelles, les fédérations d’employeurs et les ministères sur la reconnaissance du master en Urbanisme et aménagement comme certification professionnelle unique délivrée par plusieurs établissements d’enseignement supérieur, qui devrait permettre – nous l’espérons – aux urbanistes d’accéder aux concours de la fonction publique territoriale. C’est une grande étape, mais qui n’a néanmoins pas fait l’objet d’aucune communication institutionnelle. Plus globalement, il n’y a pas assez de communication à l’attention du grand public concernant les projets d’urbanisme. Les idées, postures et productions des urbanistes mériteraient une meilleure communication sur des sujets qui préoccupent la société tout entière. Par exemple, en livrant leur vision stratégique des questions relatives à l’artificialisation des sols. Cela concerne aussi la grande qualité des contenus pédagogiques des formations qui, si elle était mieux diffusée, conduirait, j’en suis convaincu, à augmenter significativement les effectifs étudiants.
La communication était au cœur de la troisième proposition du livre blanc de 2016 : « Animer et favoriser le rayonnement des urbanistes ». Cela ne devrait-il pas être le cœur des associations professionnelles d’urbanistes ?
Denis Caraire : Dans ce panorama un peu sombre, il y a quand même les Universités d’été du Conseil français des urbanistes qui prépare sa 28e édition. C’est un rendez-vous fédérateur, sérieux, un moment de partage. Mais son organisation est rendue possible par l’engagement de bénévoles, ce qui constitue une limite.
Bernard Lensel : Nous publions beaucoup, en moyenne huit publications par an. Et nous animons deux évènements importants : l’École itinérante des espaces publics – la dernière était à Grenoble et Échirolles –, et la Rencontre franco-suisse des urbanistes, qui s’est tenue en 2023, à Nyon (canton de Vaud), sur le renouveau des villes moyennes.
Laurent Vigneau : Concernant la SFU, avec Dominique, nous sommes revenus aux fondamentaux de la société savante. Donc la question est : comment apporter une parole sur l’urbanisme en tant que société savante ? Nous développons toutes sortes d’actions en la matière, et de l’évènementiel avec les « Rendez-vous de la SFU », repris sur une chaîne YouTube.
Dominique Lancrenon : Nous avons aussi pris des postures, en corédigeant un chapitre d’un livre publié par Emmanuel de la Masselière : Triangle de Gonesse. Autopsie d’un projet et remèdes pour de futures opérations d’aménagement [L’Harmattan, 2022].
Laurent Vigneau : Nous montons également des ateliers très spécifiques: par exemple, il y en a eu un sur la Butte-Rouge. Enfin, nous écrivons beaucoup d’articles sur notre site. Est-ce que tout cela fait de la SFU une voix de centralisation ? Ce n’est pas notre modèle. En revanche, nous accueillons toutes les paroles pour les diffuser.
L’urbanisme ne manque-t-il pas aussi de figures qui positionneraient le métier auprès du grand public ?
Pascale Poupinot : Je suis en partie d’accord, néanmoins, on tombe très vite sur des sujets politiques. Et je pense que c’est pour cette raison que nous ne parvenons pas à nous organiser pour des prises de paroles communes. C’est moins une question d’illégitimité que de réserve.
Dominique Lancrenon : Il me semble que ce sont les figures de l’écologie qui ont pris le dessus. Mais, en même temps, je pense que c’est une nécessité aussi.
Participants • Dominique Lancrenon, coprésidente de la SFU; Laurent Vigneau, coprésident de la SFU; Denis Caraire, président de l’OPQU; Bernard Lensel, président d’UT; Christophe Mathieu, membre d’UT; Pascale Poupinot, présidente du CFDU ; Hugo Réveillac, délégué général du CNJU.
Propos recueillis par Rodolphe Casso et Julien Meyrignac
© Rodolphe casso