L’insoutenable invisibilité des urbanistes, tout sauf une fatalité
Businessmen blur in the workplace or work space of table work in office with computer or shallow depth of focus of abstract background.

Les urbanistes, invisibilisés dans la fabrique de la ville en raison de la pluralité de leurs missions, exercent un métier complexe qu’ils peinent parfois à endosser, voire défendre. Panorama des principales causes et conséquences d’une injustice qui peut encore être réparée.

Chaque urba­niste est confronté au dou­lou­reux exer­cice de devoir systématiquement don­ner aux per­sonnes qu’il ren­contre la définition de son vaste domaine d’activité et, à l’intérieur de celui-ci, les limites de son exer­cice pro­fes­sion­nel. Pour presque tou­jours consta­ter une grande méconnaissance ou confu­sion chez ses inter­lo­cu­teurs. Sou­vent, l’urbanisme est enfermé dans ses dimen­sions réglementaires – celles aux­quelles le grand public est prin­ci­pa­le­ment confronté – ou bien confon­du avec l’architecture, sinon considéré comme une de ses spécialités consis­tant à des­si­ner et conce­voir les villes. Ou bien encore réduit à une forme de « socio­lo­gie poli­tique » appliquée aux quar­tiers popu­laires et grands ensembles. Il existe de nom­breuses rai­sons à cela.

L’urbanisme est avant tout méconnu parce qu’il n’est pas enseigné à l’école, au collège ou au lycée, en dehors d’occasionnels pro­jets pédagogiques ou ate­liers, le plus sou­vent menés avec le sou­tien des CAUE (conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement). Certes, l’aménagement du ter­ri­toire est bien au pro­gramme de classe de 3e en histoire-géographie, mais il est sou­vent traité très som­mai­re­ment et même de façon cari­ca­tu­rale, et sans lien véritable avec l’urbanisme. De plus, la géographie – science plu­ri­dis­ci­pli­naire s’il en est (divisée en trois grands domaines : géographie phy­sique, humaine et économique), qui consti­tue le socle des ana­lyses ter­ri­to­riales nécessaires aux études et pro­jets d’urbanisme – est très mal enseignée dans le secon­daire, les cours étant le plus sou­vent limités à des mono­gra­phies ter­ri­to­riales ou grandes thématiques (par exemple, « l’énergie »).

L’urbanisme est confon­du avec l’architecture parce que les deux domaines présentent des similarités et recou­pe­ments, inter­dis­ci­pli­na­rité, même cor­pus d’analyses, spa­tiales notam­ment. Et en rai­son du conti­nuum entre pro­jet urbain et acte de bâtir. La confu­sion au bénéfice de l’architecture, fétichisée en France car considérée comme un art (rele­vant, à ce titre, du ministère de la Culture), qui pro­duit le résultat concret de l’urbanisme, qui écrase la pro­duc­tion concep­tuelle et opérationnelle, gra­phique et écrite, des urbanistes.

Enfin, l’urbanisme est réduit aux crises sociales et économiques des « quar­tiers » pour deux rai­sons prin­ci­pales. La première, c’est qu’il sert de bouc émissaire aux poli­tiques natio­nales et locales qui ont failli (ges­tion loca­tive des loge­ments, équipements et ser­vices publics, etc.). La seconde, c’est qu’il sert aux médias pares­seux de fourre-tout des crises urbaines, et se trouve ain­si sou­mis à l’opprobre populaire.

Com­ment l’urbanisme pour­rait-il prétendre à une forme de visi­bi­lité tant il apparaît comme indéfini, ou subal­terne, et se trouve dénié de toute positivité ?

Les causes fon­da­men­tales de l’invisibilité des urbanistes

Si l’urbanisme n’est pas facile à définir en tant que domaine, cela l’est encore moins en tant que pra­tique pro­fes­sion­nelle. Cette com­plexité de l’exercice est une des causes fon­da­men­tales du manque de visi­bi­lité des urba­nistes. Quels sont les prin­ci­paux points saillants de cette complexité ?

D’abord, l’urbaniste est tou­jours au ser­vice de réflexions et pro­jets d’intérêt général, mais il peut exer­cer dans une col­lec­ti­vité comme fonc­tion­naire ou contrac­tuel, ou bien dans le sec­teur privé comme conseil. Cette pos­ture « un pied dans chaque sabot » est source de confu­sion chez le grand public et chez les urba­nistes eux-mêmes, qui sou­vent établissent une ligne de démarcation entre deux « familles ».

Ensuite, l’urbaniste exerce une acti­vité plu­ri­dis­ci­pli­naire et col­la­bo­ra­tive, ses inter­ven­tions sont variables selon les contextes (échelles, enjeux…), son exper­tise, son expérience, etc. De sorte qu’il est dif­fi­cile de définir les réalités de son acti­vité « type » et sa place effec­tive dans les équipes d’études ou de pro­jet. Tous les pro­fes­sion­nels de l’urbanisme sont-ils des urba­nistes ? L’urbaniste n’est-il qu’un des pro­fes­sion­nels de l’urbanisme ?

LE pro­fes­sion­nel de l’urbanisme ? C’est ce que l’on pour­rait croire lorsque cer­tains urba­nistes se présentent comme « chef d’orchestre », en charge de la synthèse des approches plu­ri­dis­ci­pli­naires et pilote des équipes-projets. Sauf que ce rôle ne leur est jamais véritablement attri­bué et qu’ils ont même très sou­vent des scru­pules (com­plexes ?) à le revêtir ; or, si tel était le cas, ils seraient davan­tage recon­nus donc visibles.

Julien Mey­ri­gnac 

© W. Phokin/Shutterstock

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