Est-on entré dans l’âge de la maintenance ?

Face à la fin de l’ère de l’équipement, un nouveau défi émerge : gérer l’existant. L’investissement massif dans de nouvelles infrastructures cède la place à une approche sur la maintenance et la durabilité. Ce virage, perceptible chez les décideurs, invite à repenser les politiques publiques et à privilégier le soin des infrastructures existantes.

 

« Dans notre pays, globalement, l’ère de l’équipement est révolue. Il faut désormais travailler sur la manière de gérer l’existant. » Cette phrase, prononcée en 2018 par un directeur de l’investissement au sein de la Caisse des Dépôts pour décrire la vision de cette banque publique sur les réseaux d’eau, et qui pourrait aisément s’étendre aux autres grandes infrastructures de mobilité ou d’énergie, témoigne d’un déplacement substantiel et relativement nouveau dans l’action publique et l’approche de ces infrastructures. Là où une grande part des politiques publiques repose sur la production de nouvelles infrastructures et suit une logique d’investissement, la conscience émerge peu à peu chez une partie des décideurs et décideuses d’un besoin de ne pas centrer ces politiques uniquement sur « une pensée de l’équipement », comme le théorise le sociologue Gilles Jeannot, mais de prêter une attention plus forte à l’existant et aux manières de le faire durer.

Les injonctions à la durabilité passent ainsi par un changement de regard sur les pratiques de gestion des infrastructures : toute la littérature sur le soin (1), dont le vocabulaire a désormais imprégné une partie du débat public, amène à s’attacher davantage aux logiques de maintenance des infrastructures. Mais, au delà d’un appel à un nouvel âge de la maintenance, qu’implique concrètement ce type de changement pour des urbanistes, des décideurs et décideuses publics, des gestionnaires d’infrastructures ? Ce que montrent les travaux récents en sciences sociales sur les infrastructures, c’est qu’en tirant la pelote de laine d’une ère de la maintenance, on peut distinguer au moins quatre fils qui racontent, à leur manière, les déplacements à l’œuvre ou à opérer.

Le besoin de connaissance

La prise au sérieux des questions de maintenance par les opérateurs passe par la mise en place de pratiques et stratégies de gestion patrimoniale. Le premier pilier de celles-ci reste toujours le même, celui d’un besoin de connaissance, qui nécessite un investissement important. Les réseaux d’eau en donnent une illustration caricaturale : les diverses études sur le nombre de kilomètres de canalisations et la valeur des réseaux à l’échelle nationale varient du simple au presque triple (2). Dit autrement, on connaît mal nos infrastructures. Leur localisation, leur état, les techniques de pose qui ont accompagné leur installation, les différentes actions de maintenance qui ont jalonné leur fonctionnement : ces éléments, a priori basiques, sont souvent manquants, et nécessitent du temps et souvent un vrai travail d’enquête à ne pas négliger, durant des mois, voire des années (3).

Ce travail de connaissance des infrastructures permet de faire exister de manière continue et de façon plus fine ces dernières souvent invisibles sauf lors de leurs moments de rupture. C’est à ce prix d’un investissement dans la connaissance que peut s’imaginer à la fois un pilotage plus fin des infrastructures, mais aussi un changement dans la façon de la concevoir, pour sortir des dynamiques de maintenance uniquement corrective, et pouvoir faire de celle-ci une activité soumise à une programmation ou à une planification, dans une logique préventive, voire prédictive.[…]

Daniel Florentin

Lire la suite de cet article dans le numéro 443 « Infra et superstructures » en version papier ou en version numérique

Couverture : Jean-Louis Chapuis, studio Warmgrey

Photo : Entre urgence climatique et sobriété énergétique, le défi permanent de la maintenance, crédit : D. R.

1/ Voir le livre Le Soin des choses, politiques de la maintenance (La Découverte, coll. « Terrains philosophiques », 2022) de Jérôme Denis et David Pontille, qui en décrit les variations et implications, et le numéro spécial de la revue Flux intitulé « Faire tenir et entretenir les infrastructures » : https://revue-flux.cairn.info/numero/?numero=FLUX1_129

2/ Voir notamment le rapport de recherche réalisé par Daniel Florentin et Jérôme Denis sur la gestion patrimoniale des réseaux d’eau en France, qui en fait l’analyse critique : https://archivesic.ccsd.cnrs.fr/ENSMP_ISIGE/hal-02391959v1

3/ À Lorient, deux ETP (équivalents temps plein) ont ainsi travaillé pendant cinq ans pour la seule élaboration d’une cartographie précise des canalisations d’eau et de leur état, à la suite du passage de la compétence à l’échelon intercommunal

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