Face au déferlement des urgences – climatiques, sociales, économiques, sanitaires… –, la 34e édition du Festival international de géographie (FIG), qui s’est déroulée du 29 septembre au 1er octobre 2023, à Saint-Dié-les-Vosges, a mis ce thème au cœur de sa programmation.
Pendant trois jours, la ville de Saint-Dié-des-Vosges s’est plongée dans ce que la géographie dit des urgences : leur anticipation, leur gestion, voire l’après-crise. Le festival a également mis à l’honneur le « Chili, miroir grossissant du monde » : un pays à l’autre bout du globe, mais dont les situations d’urgence ont rencontré un écho dans le monde entier, du coup d’État du général Pinochet le 11 septembre 1973 au mouvement social de 2019 (estallido).
Un coup de projecteur sur les métiers de la gestion des crises
Dès la gare, le ton est donné. « l’Urgence est déclarée » sur la grande carte sur le sol du hall de gare. L’Institut national de l’information géographique et forestière L’IGN a cartographié et décrit « 8 grands enjeux de l’anthropocène ». De prises de vues avant/après pour faciliter la gestion de la crise cyclonique aux Antilles en 2017, à la mesure du recul du trait de côte littoral ou à la cartographie du potentiel d’énergie solaire en toiture dans le Grand Poitiers, la carte géante illustre les différents rôles que peuvent jouer les données cartographiques au service de la transition écologique.
Le Festival international de géographie (FIG) a fait la part belle à l’envers du décor et aux acteurs de la gestion des crises : autour de la réponse à un feu de forêt ou à un ouragan, élus, cartographes, humanitaires, pompiers et assureurs ont pu présenter certains des outils à leur service pour ne pas céder à la tétanie quand la crise arrive. En effet, faire face à l’urgence implique un travail minutieux d’anticipation et de préparation pour adapter la réponse au plus vite. Dans cette optique, un bâtiment a été complètement dédié à la thématique géo-numérique en partenariat avec l’Afigeo pour offrir une vue globale des méthodes et outils opérationnels mobilisables dans l’anticipation et la gestion des urgences (modélisation par drone, banques de géodonnées, serious games…).
Temporalités et échelles d’urgence(s)
L’urgence climatique a ainsi occupé une place centrale dans les débats, après que les grands incendies de 2022 dans le massif vosgien eurent donné à voir les conséquences du changement climatique dans le Grand Est. Pourtant, comme l’a souligné Christian de Perthuis, dans sa conférence « Abondance, rareté, équité : vers une nouvelle économie du climat », l’urgence climatique ne correspond pas à la temporalité classique de l’urgence. Les émissions de gaz à effet de serre (GES) qui s’accumulent dans l’atmosphère fonctionnent comme un compte à rebours : c’est à force de concentration que les effets deviennent perceptibles… et pérennes puisque les gaz mettent plusieurs années (voire dizaines d’années) à disparaître. Un phénomène mondial dont la matérialisation des effets n’arrive que plusieurs décennies après les émissions, c’est une urgence impalpable, difficile à mettre à l’agenda.
Outre les effets de temporalité, la question des échelles a également été déterminante dans l’analyse des urgences. Les approches géographiques ont permis de mettre en avant la dichotomie entre l’échelle des causes d’un phénomène, souvent globales ou régionales, et la matérialisation de leurs effets, parfois très localisés (tempêtes, fermetures d’usines, surtourisme…). Face à des phénomènes dont l’ampleur les dépasse souvent, que peuvent les territoires et les villes ? Ces échelles de gouvernance permettent-elles encore d’agir ? Différents retours d’expérience, Déodatiens ou lointains, ont été abordés pour amorcer des pistes de réponses.
De la « culture du risque » à la responsabilité du consommateur, les échanges ont aussi interrogé l’action individuelle. Cette édition du festival a même poussé la réflexion autour de nos possibilités d’action jusque dans les assiettes, puisque l’ensemble des participants a pu se retrouver autour de menus végétariens, locaux et de saison en bocaux réutilisables proposés dans l’éco-resto, créé pour l’occasion par l’association Trans’Versants.
L’urgence, un mot d’ordre à questionner
Finalement, qu’est-ce qu’une urgence ? Au fil du festival, les urgences abordées ont été de natures, échelles et temporalités très variées – urgence de la réindustrialisation française ? de la prévention des feux de forêt ? de la réduction des inégalités ? – et nécessairement subjectives. L’urgence se révèle comme une injonction à agir : un phénomène n’est pas urgent par essence, mais parce qu’il est analysé comme tel. Son partage à l’échelle de la société n’est jamais spontané, c’est un véritable travail de « mise à l’agenda » afin de mobiliser des moyens d’action, souligne Florian Opillard, directeur scientifique du FIG 2023 dans son édito.
Encore faut-il le vouloir : la construction d’un sujet comme problème public est un choix politique. Un exemple emblématique de ce travail de mise à l’agenda a été abordé lors de la conférence « La France face à l’urgence de sa réindustrialisation », animée par François Bost (géographe), Gabriel Colletis (professeur de sciences économiques), Ophélie Petiot (agrégée de géographie). La perception de la désindustrialisation, non comme un progrès vers une économie tertiaire plus propre et qualifiée, mais comme une perte de souveraineté dans la capacité à se procurer des produits stratégiques montre le processus de changement des mentalités qui a été nécessaire pour mettre à l’agenda le sujet. Ce phénomène n’a été permis que par la mobilisation d’acteurs politiques et économiques dans le cadre de la crise sanitaire du Covid19 pour signaler les difficultés d’approvisionnement de certains biens de première nécessité, qui n’étaient plus produits en France.
La mise à l’agenda d’un enjeu impose donc une lecture spécifique d’un phénomène, parfois partiale. Le désormais célèbre « fin du monde ou fin du mois, même combat » scandé pendant la mobilisation des « gilets jaunes » avait déjà montré à quel point la formulation d’un problème peut être l’objet de visions divergentes et contradictoires, et conduire à des urgences parfois perçues comme irréconciliables.
Loin de céder à la panique et aux injonctions impérieuses, le FIG 2023 nous a proposé une pause salutaire pour croiser les regards et se projeter collectivement. Vivement l’année prochaine !
Chloé Vergues