Le futur du « déjà-là » — Building Beyond
Building Beyond

La 6e édition du festival Building Beyond, qui s’est tenue à Leonard : Paris, du 19 au 24 juin, avait pour thème « Le futur du “déjà-là” ». Parmi les trente débats, ateliers et performances au programme, la revue Urbanisme – partenaire du festival – a produit et animé deux tables rondes.

 

Ques­tion­ner la trans­for­ma­tion des villes et des ter­ri­toires, tel est l’objectif du fes­ti­val Buil­ding Beyond qui s’est intéressé cette année aux moyens de recy­cler la ville pour construire le futur à l’heure des limites planétaires. Face au dérèglement cli­ma­tique, à la raréfaction des res­sources et aux ten­sions sociales, les villes et ter­ri­toires doivent s’appuyer sur les énergies locales, l’économie cir­cu­laire, le dyna­misme de la recherche et des entre­pre­neurs ou une jeu­nesse engagée, pour amor­cer leur trans­for­ma­tion et ain­si pro­lon­ger, adap­ter, trans­for­mer, régénérer et conver­tir, plutôt que de faire table rase de tout et repar­tir de zéro. Le 19 juin, la revue Urba­nisme a apporté, en deux temps, sa contri­bu­tion aux réflexions autour de ce thème.

« Tran­si­tion : les res­sources cachées du territoire »

La première table ronde, animée par la jour­na­liste Lucie Roma­no, a invité trois par­ti­ci­pants à se ques­tion­ner sur la notion de « déjà- là », qui implique d’adopter une nou­velle pos­ture : celle de l’attention minu­tieuse à ce qui nous entoure, pour en com­prendre la genèse et les dyna­miques qui lui ont per­mis de perdurer.

Gilles Crague, direc­teur de recherche au Cired de l’École des Ponts Paris­Tech, a évoqué Vire, en Nor­man­die, à tra­vers une enquête de ter­rain réalisée en 2022. « Vire est une ville moyenne dont le volume d’emploi indus­triel est le même qu’en 1975. Une ano­ma­lie aux yeux des sta­tis­tiques natio­nales. » Com­ment ce main­tien de l’industrie a‑t-il été pos­sible ? « Le tis­su indus­triel s’est trans­formé en quelques décennies de façon radi­cale sur tous les grands pans : com­po­si­tion capi­ta­lis­tique, marchés, équipements, pro­cess, numérisation… Cette trans­for­ma­tion silen­cieuse est le fac­teur majeur de la résistance de l’industrie à Vire. » Comme autre grand ensei­gne­ment de l’enquête, Gilles Crague évoque la façon dont les indus­triels inter­agis­saient avec les autorités locales. « On a long­temps misé sur le capi­tal immatériel – le social, les réseaux. Or, à Vire, les inter­ac­tions se font essen­tiel­le­ment autour des ques- tions foncières. Les autorités ont la capa­cité de réguler le fon­cier pour le mettre à dis­po­si­tion d’industriels qui ont des besoins de développement, par­fois subis et pas du tout planifiés. Ces gens connaissent très bien leur fon­cier et savent lequel est mobi­li­sable en dehors des radars du ZAN [« zéro arti­fi­cia­li­sa­tion nette », ndlr]. »

De son côté, Romain Lajarge, pro­fes­seur d’aménagement à l’École natio­nale supérieure d’architecture de Gre­noble (Ensag), a enquêté sur Thi­zy-les-Bourgs (Rhône) dans le cadre d’un pro­gramme POPSU. Aux confins de la métropole lyon­naise, cette ville, qui a connu une chute rapide et mas­sive de son indus­trie tex­tile, accueille aujourd’hui « beau­coup de misère, beau­coup de per­sonnes handicapées, des classes sociales rejetées de la métropole », comme l’explique Romain Lajarge. Et pour­tant, les habi­tants, qui n’évoquent pas leur précarité, ont demandé aux cher­cheurs : « Ne dites sur­tout pas ce qu’est notre res­source ! Ici, c’est beau ! Plus beau que la métropole ! » En effet, la puis­sance publique inves­tit beau­coup pour rénover le centre-bourg et les habi­tants dis­posent de « mai­sons magni­fiques avec des vues splen- dides », héritées de l’époque prospère de Thi­zy-les-Bourgs. Taire ce fait per­met de préserver cette res­source pour les plus démunis et d’éviter que les métropolitains ne s’y intéressent.

Pour Frédérique Bon­nard Le Floc’h, vice-présidente de Brest Métropole en charge des coopérations ter­ri­to­riales, des poli­tiques contrac­tuelles et de la proxi­mité ter­ri­to­riale sec­teur ouest, il faut pas­ser du « pou­voir sur » au « pou­voir de ». « Dans mon ter­ri­toire, petit, pauvre et excentré, le pou­voir vient des gens qui ont conscience que seuls, ils ne peuvent rien. C’est pour­quoi ce ter­ri­toire a vu naître le mutua­lisme. Pour faire les choses bien, on les fait ensemble. Depuis 1974, on délivre les per­mis de construire au niveau de la métropole et on gère les déchets sur la moi­tié du département. » C’est avec une culture « d’entrepreneur de ter­ri­toire » que Brest Métropole va cher­cher de la coopération à tra­vers des consor­tiums sans dis­tinc­tion public/privé. « On pense aus­si, depuis très long­temps, à la coopération entre urbain, périurbain et rural dans la pers­pec­tive des transitions. »

« Le patri­moine contre le futur ? »

La seconde table ronde pro­duite par la revue Urba­nisme, intitulée « Le patri­moine contre le futur ? » et animée par son rédacteur en chef, Julien Mey­ri­gnac, par­tait du constat sui­vant: en France, le patri­moine urbain et archi­tec­tu­ral fait l’objet d’une grande considération popu­laire et de nom­breux dis­po­si­tifs de pro­tec­tion et de conser­va­tion (sites et monu­ments classés et ins­crits, périmètres de pro­tec­tions sou­mis à avis des archi- tectes des Bâtiments de France [ABF], etc.). Dans d’autres pays d’Europe comme le Royaume-Uni, les Pays-Bas ou la Suisse, les cœurs de métropoles sont revivifiés par une création archi­tec­tu­rale contem­po­raine auda­cieuse qui dia­logue direc­te­ment avec le patri­moine. L’Hexagone semble par­fois enfermé dans un cer­tain conser­va­tisme en ce qui concerne la trans­for­ma­tion des centres-villes his­to­riques. À l’inverse, le patri­moine du XXe siècle, celui des périphéries et des grands ensembles, reste le plus sou- vent situé en dehors de tout périmètre de pro­tec­tion. Dans ce contexte, com­ment ima­gi­ner un new deal de la création archi­tec- turale, res­pec­tueux de l’ensemble du « déjà-là », mais attaché à appor­ter des réponses fonc­tion­nelles et esthétiques innovantes ?

Rodolphe Cas­so

La table ronde « Le patri­moine contre le futur ? », (de g. à d.) : Julien Mey­ri­gnac, Clément Blan­chet, Maryse Faye et Jana Reve­din. ©Alexis­Tou­reau

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