Les leçons des crises et des chocs

« Engagez-vous ! », disait-il

 

Sté­phane Hes­sel avait, par­mi les pre­miers, très bien com­pris qu’être concer­né ne veut pas dire être impli­qué, et que nom­breux sont les auto-satis­faits d’avoir lu (com­pris) et dit (pos­té). C’est pour cela qu’il avait accep­té de don­ner une suite sous forme d’entretien à son inat­ten­du best-sel­ler Indi­gnez-vous ! (2010). Mais Enga­gez-vous ! n’a pas atteint, et de très loin, les 4,5 mil­lions d’exemplaires ven­dus de son prédécesseur.
Triste démonstration.

Les crises et les chocs sont ins­crits dans nos ima­gi­naires par l’information média­tique mul­ti­ca­nal, tou­jours plus élar­gie, avi­sée et réac­tive. De telle sorte que les catas­trophes semblent ryth­mer per­pé­tuel­le­ment l’actualité : trem­ble­ments de terre, inon­da­tions, guerres, atten­tats… Elles sont, de fait, moins sur­pre­nantes ; elles étaient d’occasionnels cris stri­dents, elles sont deve­nues de per­pé­tuels bruits sourds, géné­rant du like, de l’émotion, du com­men­taire, voire de l’indifférence, mais peu de remise en cause, et encore moins d’implication. Plus on nous donne à voir et moins nous éprou­vons, selon le très connu prin­cipe de désensibilisation.

Cela concerne, bien enten­du, celles et ceux qui ne sont pas confron­tés à la catas­trophe elle-même, qui sont désor­mais habi­tués à rece­voir un compte-ren­du quo­ti­dien de la vio­lence et de l’injustice du monde ; à la fois fas­ci­nés et bla­sés du spec­tacle d’un nou­veau sinistre qui frappe ces autres qui sont comme une par­tie déta­chée d’eux-mêmes. Les plus concer­nés s’indignent de l’incurie des pou­voirs publics et de la vora­ci­té du capi­tal qui ont conduit à ce que des mal­heu­reux se retrouvent expo­sés, puis frap­pés par le risque. Les plus fra­giles pleurent un peu, les plus géné­reux font un don sur leur smart­phone. Et, le len­de­main, tout le monde passe à autre chose.

Mais cela concerne aus­si celles et ceux qui sont frap­pés de plein fouet par la catas­trophe et qui vivent une nou­velle expé­rience du réel : ils savaient que ça pou­vait (devait ?) arri­ver, et c’est arri­vé. Ils doivent faire face à des cir­cons­tances qu’ils ont maintes fois vues depuis leurs cana­pés, pour se rendre compte que, para­doxa­le­ment, cela ne les a pas pré­pa­rés (sans doute au contraire). Ils se découvrent étranges « spec­tac­teurs », mobi­li­sés par l’urgence, mais pres­sés de reve­nir à la nor­male et d’oublier tous ces tourments.
Per­sonne, cha­cun à sa place, n’oublie de réagir, mais trop peu sont ceux qui s’engagent pour tirer les leçons fon­da­men­tales des évènements.

Quelques mois après la crise sani­taire du Covid-19, com­bien de sté­riles que­relles au sujet d’une de ses moins fla­grantes consé­quences sur le ter­ri­toire – le spec­tral exode urbain –, plu­tôt qu’un exa­men col­lec­tif appro­fon­di de tout ce qu’elle a révo­lu­tion­né dans nos socié­tés (mobi­li­tés, lien social, rap­port au tra­vail, etc.) ?
Quelques mois – tou­jours – après la tem­pête Alex qui a dévas­té cer­taines val­lées de l’arrière-pays niçois, com­bien de débats sur la « méca­nique » régle­men­taire des PLU, plu­tôt qu’un tra­vail des­ti­né à faire émer­ger de nou­veaux hori­zons pour les ter­ri­toires concer­nés, quand une nou­velle tem­pête – Aline – est venue confir­mer les nou­velles et fré­quentes exi­gences de la crise climatique ?
« Facile à dire ! », ne man­que­ront pas de réagir cer­tains sur les réseaux sociaux quand ils liront cet édi­to. Ce sera vrai, mais ce ne sera pas suffisant.
Engagez-vous !

Julien Mey­ri­gnac

(Pho­to de cou­ver­ture : Graf­fi­ti réa­li­sé par Bank­sy, sur le mur d’un bâti­ment détruit par l’armée russe, à Boro­dyan­ka, Ukraine,14 novembre 2022. © SOPA Images Limited/Alamy Stock Photo)

 

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