Finira-t-on par cohabiter avec les rats ?

Le rat cohabite avec l’homme depuis la nuit des temps. Cet animal sauvage, que nous considérons comme nuisible, se révèle méconnu. Au cours du XXe siècle, la gestion publique de ces rongeurs n’a connu aucune avancée majeure. Aujourd’hui, de grandes métropoles – Berlin, Helsinki et Vancouver – se sont engagées dans des programmes de recherche-action, visant à mieux comprendre les enjeux d’une cohabitation apaisée et à définir les conditions de sa mise en œuvre.

 

Le constat semble définitif : le rat conta­mine notre ali­men­ta­tion, a des effets néfastes sur notre santé phy­sique et men­tale et dégrade nos infra­struc­tures, il est donc natu­rel­le­ment deve­nu l’ennemi à abattre. Or, cette chasse aux ron­geurs nécessite de mul­ti­plier les méthodes, y com­pris les plus inva­sives, comme les roden­ti­cides, des anti­coa­gu­lants qui pro­voquent une hémorragie interne chez l’animal.

Malgré l’importance et la diver­sité des moyens déployés, cette espèce synan­thrope – qui s’adapte aux écosystèmes urbains – conti­nue de prospérer. Au point qu’il est légitime de se deman­der s’il est seule­ment pos­sible de s’en débarrasser. Mais avant cela, si nous avons réellement intérêt à le faire.

Un voi­sin méconnu

Dès la création du Hel­sin­ki Urban Rat Pro­ject en 2018, le cher­cheur en bio­lo­gie de l’évolution Tuo­mas Aive­lo constate l’intérêt du grand public pour son sujet d’étude. « Nous avions le sen­ti­ment de méconnaître les rats, qui sus­citent pour­tant l’attention, car ils sont très impor­tants dans les écosystèmes urbains. Dès le lan­ce­ment du pro­jet, je rece­vais chaque semaine un appel de jour­na­liste qui sou­hai­tait connaître le nombre de rats à Hel­sin­ki. » Au contraire de Paris, où une légende urbaine estime que la popu­la­tion de rats serait deux à trois fois supérieure au nombre d’habitants, la capi­tale fin­lan­daise est pour­tant loin – en rai­son de la rigueur de l’hiver qui limite leur expan­sion – d’être enva­hie par les ron­geurs. Ce qui n’empêche pas les ser­vices de la Ville d’Helsinki d’être assaillis par les appels d’habitants ayant croisé leur route.

« Il y a si peu de connais­sances dis­po­nibles qu’ils ne savent pas com­ment réagir ! Nous avons donc orga­nisé des réunions avec les ser­vices muni­ci­paux : espaces verts, déchets, sécurité ali­men­taire. Les rats interfèrent avec de nom­breuses poli­tiques de l’administration de la ville. » Le Urban Rat Pro­ject sus­cite l’intérêt au niveau natio­nal : ONG, entre­prises de lutte contre les nui­sibles et de ramas­sage d’ordures par­ti­cipent à ces ren­contres. Le labo­ra­toire a, par exemple, réalisé une car­to­gra­phie des risques pour le compte d’une entre­prise de col­lecte de déchets, afin de quan­ti­fier les impacts pour la santé au tra­vail du contact avec les rongeurs.

Dans le pays scan­di­nave, on craint tou­te­fois une poten­tielle aug­men­ta­tion de leur nombre, du fait du réchauffement cli­ma­tique. « Nous savons que les rats sont plus petits à Hel­sin­ki, et que les pathogènes et para­sites se trans­mettent moins. Doit-on s’attendre à ce qu’il y ait davan­tage de rats si les hivers ne sont plus aus­si froids ? », s’interroge Tuo­mas Aive­lo. L’un des grands ques­tion­ne­ments en Fin­lande reste l’élimination systématique des rats, mandatée par la loi sur la pro­tec­tion de la santé. Une pra­tique for­te­ment remise en cause par les agences envi­ron­ne­men­tales et également contestée par une étude canadienne.

Une exter­mi­na­tion contre­pro­duc­tive qui empoi­sonne les milieux naturels

Au Cana­da, Chel­sea Him­sworth, vétérinaire patho­lo­giste et épidémiologiste, dirige un pro­gramme simi­laire, le Van­cou­ver Rat Pro­ject (Van­Rap), développé sur le constat de l’incapacité des pou­voirs publics à gérer cette problématique. Ses tra­vaux marquent un tour­nant majeur dans notre connais­sance des rats qui, s’ils sont les vec­teurs de leurs propres mala­dies, sont également infectés par celles de l’homme, prin­ci­pa­le­ment au contact des déchets. « Nous avons découvert que les rats piégés dans un quar­tier spécifique de Van­cou­ver étaient por­teurs des mêmes souches uniques de la bactérie SARM [Sta­phy­lo­coc­cus aureus (sta­phy­lo­coque doré) résistant à la méthicilline (anti­bio­tique), ndlr] qui infec­tait les habi­tants de cette com­mu­nauté », détaille Chel­sea Himsworth.

Mai­der Darricau

Les rats sont décrits comme des monstres semant la mort et des mala­dies. Litho­gra­phie en cou­leur d’Obrad Nico­litch, 1920. 

© Well­come Collection

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Un commentaire

  • Nico

    20 juin 2024 à 11h02

    Bon­jour, je tiens à sou­li­gner l’im­por­tance de la coha­bi­ta­tion rai­son­née avec les rats. Sou­vent consi­dé­rés comme des vec­teurs de mala­dies, il est vital de se rap­pe­ler qu’ils jouent éga­le­ment un rôle cru­cial dans l’é­co­sys­tème urbain. La recherche-action menée par des métro­poles comme Hel­sin­ki et Van­cou­ver révèle que notre connais­sance limi­tée de ces ani­maux nous force à uti­li­ser des méthodes sou­vent inef­fi­caces et inva­sives. Une meilleure com­pré­hen­sion de leur com­por­te­ment et de leur habi­tat pour­rait mener à des solu­tions plus durables et res­pec­tueuses de l’environnement.

    Avez-vous, Mai­der, des infor­ma­tions sup­plé­men­taires sur les ini­tia­tives col­la­bo­ra­tives entre ONG et entre­prises locales évo­quées par Tuo­mas Aive­lo? Cette approche mul­ti-acteurs pour­rait être un modèle ins­pi­rant pour d’autres villes. 

    Bra­vo encore pour cet éclai­rage, qui pousse à repen­ser nos pra­tiques de ges­tion urbaine.

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