Les initiatives fleurissent pour accorder davantage de place aux animaux en ville, qu’ils soient domestiqués ou sauvages, et les citadins les plébiscitent largement. Si elles favorisent la biodiversité, le bien‑être et le lien social, les actions menées par les municipalités et les associations peuvent cependant émaner de visions ou de besoins différents. Parfois jusqu’à occasionner des frictions.
En 1990, à une époque où le concept de ferme urbaine est largement ignoré, Claudine Bréon crée l’association l’Enfance de l’art et s’établit au jardin des Tuileries, à Paris, pour y réintroduire des bagues de maraîchage, animer des ateliers jardinage et installer des lapins et des poules. En 1998, les Monuments historiques la contactent pour lui proposer d’occuper un bâtiment en ruine dans le parc de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine). Elle y crée la Ferme du Piqueur et propose des ateliers autour de l’animal, l’alimentation durable, le maraîchage. Pendant vingt ans, elle accueillera jusqu’à 30000 personnes par an, sans subventions. En 2018, suite à un appel d’offres, elle perd le lieu et doit se relocaliser d’urgence. C’est à ce moment que sa fille, Marie Bréon, prend le relais en récupérant moutons, chèvres et lapins, pour redémarrer une structure en milieu nettement plus urbain : en plein cœur de Clamart (Hauts- de-Seine), dans le parc de la Maison-Blanche.
Pour conserver un maximum de bêtes, Marie développe au sein de l’association qu’elle préside, Bergeries en ville, le pastoralisme urbain (ou « écopâturage »), qui consiste à placer des animaux sur des espaces verts pour servir de « tondeuse à gazon naturelle ». Si cette pratique s’avère silencieuse et davantage respectueuse de la biodiversité (notamment des insectes) que les moteurs et pales des débroussailleuses municipales, elle a aussi l’avantage de générer du lien entre habitants. « Beaucoup d’interactions se font autour des moutons, des voisins qui ne se parlaient pas font connaissance », assure Marie Bréon. La pratique est d’autant plus concluante que les riverains ont tendance à « s’approprier » les cheptels. « Si je change de moutons à un endroit, les gens vont me dire : “Mais où sont nos moutons ?” Ils font partie intégrante de leur environnement. »
En tout, Bergeries en ville s’occupe de six chèvres, quarante moutons, une cinquantaine de lapins et une quarantaine de poules. Depuis sa création, l’association a connu un développement significatif : outre la ferme urbaine et six terrains d’écopâturage à Clamart, la structure gère aussi les jardins familiaux de la ville, ainsi que ceux de Meudon. Elle est également présente dans d’autres communes des Hauts-de-Seine, comme Le Plessis- Robinson, Issy-les-Moulineaux, Villeneuve-la-Garenne, et dans les Yvelines, à Buc, sur le terrain de l’entreprise General Electric.
Depuis 2019, Bergeries en ville occupe même un site en plein Paris, dans le 14e arrondissement, sur le terrain de la résidence Notre-Dame-de-Bon-Secours, qui appartient à des religieuses – qu’elles refusent de faire construire. Là, Marie Bréon a créé une microferme thérapeutique avec poules, moutons, chèvres et lapins. « Cela permet aux habitants du quartier de venir dans la résidence et de créer du lien avec les patients. Car le lieu accueille un foyer médicalisé, une unité Alzheimer et une crèche. Ça génère des choses incroyables en termes de lien social. »
L’association se finance presque entièrement grâce aux contrats d’écopâturage passés avec les communes et les entreprises, et aux ateliers pédagogiques. Ceux-ci s’adressent à tous les publics (crèches, maternelles, élémentaires, collèges, lycées, familles, adultes) et portent sur le sensoriel, l’alimentation durable, l’origine des produits, la connaissance des oiseaux et des insectes, ainsi que le jardinage et la permaculture.
Et pour élargir encore davantage ses publics, Bergeries en ville a organisé, le 15 mai 2024, à Meudon, l’évènement « Le vivant au cœur de notre ville », avec, au programme, des ateliers sur la valorisation de la matière laine, les oiseaux (avec la Ligue pour la protection des oiseaux, LPO), la forêt, ou encore la sensibilisation à la faune sauvage avec les étudiants de l’École nationale vétérinaire d’Alfort.
Marie Bréon, lors d’un atelier pédagogique sur la terrasse de l’Observatoire, à Meudon (92).
© Bergeries en ville