Aménager la ville pour prévoir l’urgence migratoire
Grande Synthe - France - Monday 07 March 2016 :Illustration picture shows the new MSF, Medecins sans Frontieres, migrants camp in Grande Synthe, near Dunkerque, northern

Alors que l’Institut pour l’économie et la paix (IEP) alerte sur une augmentation des réfugiés climatiques – 1,2 milliard en 2050 selon le pire scénario –, réfléchir aux solutions de leur accueil dans les villes devient inévitable. Dans le nord de la France, le camp de Grande-Synthe est un exemple innovant de coopération et d’expérimentation de l’hébergement d’urgence.

 

Ancienne terre indus­trielle, la com­mune de Grande-Synthe, qui compte un peu plus de 20 000 habi­tants, se situe à une tren­taine de minutes en trans­port du tun­nel sous la Manche. Tout comme Calais et Ouis­tre­ham, elle consti­tue un lieu d’accueil privilégié pour les popu­la­tions migrantes passées par l’Afrique du Nord ou la Tur­quie, avec pour des­ti­na­tion finale l’Angleterre. Dans ce coin de France où l’extrême droite a élu domi­cile, « Grande-Synthe fait excep­tion, votant à gauche, voire à l’extrême gauche », sou­ligne l’ancien édile Damien Carême. Député européen depuis 2019, il a gou­verné la ville de 2001 à 2019 et est à l’initiative de la création d’un camp d’hébergement en 2015. Il tient d’ailleurs à le préciser d’entrée de jeu : « Un camp n’est pas une solution. »

Pour­tant, cette année‑là, le sous-bois du Bas­roch, cam­pe­ment infor­mel ins­tallé au début des années 2000 dans la com­mune, voit sa popu­la­tion aug­men­ter de façon expo­nen­tielle, tan­dis que les condi­tions d’accueil se dégradent. Des pas­seurs ont inves­ti le camp, ren­dant des ser­vices de première nécessité payants. Le ter­rain est insa­lubre et on compte un seul point d’eau dis­po­nible. « Pour beau­coup, le Bas­roch c’était la “jungle de Calais”, en pire. Leurs tentes inondées, les gens dor­maient dans la boue dans un camp deve­nu une véritable décharge à ciel ouvert », raconte Angélique Mul­ler dans un article paru dans la revue Alter­na­tives huma­ni­taires, en 2016.

Damien Carême lance plu­sieurs appels à l’État qui res­te­ront sans réponse. Il se tourne alors vers l’ONG Médecins sans frontières (MSF), présente sur le site depuis sep­tembre 2015 pour pro­di­guer des soins médicaux. Cette sol­li­ci­ta­tion est assez inat­ten­due puisque l’organisation n’a pas réellement d’expérience dans le domaine. « Nous n’avions pas voca­tion à créer des camps, ce n’est pas notre mis­sion. Le plai­doyer, l’amélioration d’accès aux soins et aux droits le sont, mais cette dimen­sion n’avait pas encore été abordée », précise Angélique Mul­ler, coor­di­na­trice du pro­jet à Grande-Synthe, entre jan­vier et avril 2016.

Cette coopération entre des acteurs muni­ci­paux et une orga­ni­sa­tion d’aide huma­ni­taire est inédite. MSF n’est pas habituée à tra­vailler sur ces problématiques sur le sol français, tan­dis que la Ville, prise au dépourvu et sans aucun appui étatique, ni exemple extérieur, ne sait pas vrai­ment vers qui se tour­ner. « Je n’avais aucun retour d’expérience, même européen, sur la manière de faire. C’est en tra­vaillant avec MSF que l’on a abou­ti à un camp », relate Damien Carême. Les deux par­ties pre­nantes sou­lignent la bonne entente qui a per­mis de régler en quelques semaines une problématique latente et deve­nue étouffante pour les habi­tants du camp, de la ville et les élus locaux. Pour Angélique Mul­ler, « le fait que la dyna­mique vienne du maire lui-même a favo­risé les échanges et le fonc­tion­ne­ment du camp ».

Le nou­veau lieu d’accueil doit cepen­dant res­pec­ter cer­taines condi­tions. Pour faire accep­ter ce déplacement par les habi­tants, il doit être à proxi­mité immédiate de l’autoroute, leur cor­don ombi­li­cal pour rejoindre Calais. De plus, la Ville n’a pas l’autorisation de l’État pour construire des struc­tures d’hébergement pérennes. N’ayant pas de bâti vacant à dis­po­si­tion, Damien Carême et ses équipes pros­pectent les ter­rains de la ville. Le ter­rain dit de La Linière est sélectionné, joux­tant la voie ferrée et l’autoroute. Sept semaines sont nécessaires pour mettre en place un camp offrant un mini­mum de dignité : toi­lettes, douches et espaces de res­tau- ration sont installés. La ges­tion du camp est chapeautée par l’association Uto­pia 56. Si au départ 140 tentes sont plantées, une tempête met au sol ces premières habi­ta­tions. Elles sont remplacées par de petites cabanes en bois, pas de struc­tures pérennes donc, mais un supplément de confort appréciable.

L’expérience inter­na­tio­nale de Médecins sans frontières a été essen­tielle dans la ges­tion de ce camp.

Lire la suite de cet article dans le n°434

Mai­der Darricau

Le camp de migrants de Méde­cins sans fron­tières (MSF), Grande-Synthe, près de Dun­kerque, le 7 mars 2016 ©IDN/Shutterstock

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