Alors que l’Institut pour l’économie et la paix (IEP) alerte sur une augmentation des réfugiés climatiques – 1,2 milliard en 2050 selon le pire scénario –, réfléchir aux solutions de leur accueil dans les villes devient inévitable. Dans le nord de la France, le camp de Grande-Synthe est un exemple innovant de coopération et d’expérimentation de l’hébergement d’urgence.
Ancienne terre industrielle, la commune de Grande-Synthe, qui compte un peu plus de 20 000 habitants, se situe à une trentaine de minutes en transport du tunnel sous la Manche. Tout comme Calais et Ouistreham, elle constitue un lieu d’accueil privilégié pour les populations migrantes passées par l’Afrique du Nord ou la Turquie, avec pour destination finale l’Angleterre. Dans ce coin de France où l’extrême droite a élu domicile, « Grande-Synthe fait exception, votant à gauche, voire à l’extrême gauche », souligne l’ancien édile Damien Carême. Député européen depuis 2019, il a gouverné la ville de 2001 à 2019 et est à l’initiative de la création d’un camp d’hébergement en 2015. Il tient d’ailleurs à le préciser d’entrée de jeu : « Un camp n’est pas une solution. »
Pourtant, cette année‑là, le sous-bois du Basroch, campement informel installé au début des années 2000 dans la commune, voit sa population augmenter de façon exponentielle, tandis que les conditions d’accueil se dégradent. Des passeurs ont investi le camp, rendant des services de première nécessité payants. Le terrain est insalubre et on compte un seul point d’eau disponible. « Pour beaucoup, le Basroch c’était la “jungle de Calais”, en pire. Leurs tentes inondées, les gens dormaient dans la boue dans un camp devenu une véritable décharge à ciel ouvert », raconte Angélique Muller dans un article paru dans la revue Alternatives humanitaires, en 2016.
Damien Carême lance plusieurs appels à l’État qui resteront sans réponse. Il se tourne alors vers l’ONG Médecins sans frontières (MSF), présente sur le site depuis septembre 2015 pour prodiguer des soins médicaux. Cette sollicitation est assez inattendue puisque l’organisation n’a pas réellement d’expérience dans le domaine. « Nous n’avions pas vocation à créer des camps, ce n’est pas notre mission. Le plaidoyer, l’amélioration d’accès aux soins et aux droits le sont, mais cette dimension n’avait pas encore été abordée », précise Angélique Muller, coordinatrice du projet à Grande-Synthe, entre janvier et avril 2016.
Cette coopération entre des acteurs municipaux et une organisation d’aide humanitaire est inédite. MSF n’est pas habituée à travailler sur ces problématiques sur le sol français, tandis que la Ville, prise au dépourvu et sans aucun appui étatique, ni exemple extérieur, ne sait pas vraiment vers qui se tourner. « Je n’avais aucun retour d’expérience, même européen, sur la manière de faire. C’est en travaillant avec MSF que l’on a abouti à un camp », relate Damien Carême. Les deux parties prenantes soulignent la bonne entente qui a permis de régler en quelques semaines une problématique latente et devenue étouffante pour les habitants du camp, de la ville et les élus locaux. Pour Angélique Muller, « le fait que la dynamique vienne du maire lui-même a favorisé les échanges et le fonctionnement du camp ».
Le nouveau lieu d’accueil doit cependant respecter certaines conditions. Pour faire accepter ce déplacement par les habitants, il doit être à proximité immédiate de l’autoroute, leur cordon ombilical pour rejoindre Calais. De plus, la Ville n’a pas l’autorisation de l’État pour construire des structures d’hébergement pérennes. N’ayant pas de bâti vacant à disposition, Damien Carême et ses équipes prospectent les terrains de la ville. Le terrain dit de La Linière est sélectionné, jouxtant la voie ferrée et l’autoroute. Sept semaines sont nécessaires pour mettre en place un camp offrant un minimum de dignité : toilettes, douches et espaces de restau- ration sont installés. La gestion du camp est chapeautée par l’association Utopia 56. Si au départ 140 tentes sont plantées, une tempête met au sol ces premières habitations. Elles sont remplacées par de petites cabanes en bois, pas de structures pérennes donc, mais un supplément de confort appréciable.
L’expérience internationale de Médecins sans frontières a été essentielle dans la gestion de ce camp.
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Maider Darricau
Le camp de migrants de Médecins sans frontières (MSF), Grande-Synthe, près de Dunkerque, le 7 mars 2016 ©IDN/Shutterstock