Norbert Foulquier, Soazic Marie et Frédéric Rolin, respectivement directeur, directrice adjointe et directeur scientifique du Groupement de recherche sur les institutions et le droit de l’aménagement, de l’urbanisme et de l’habitat (Gridauh), évoquent les relations complexes entre le droit de l’urbanisme et les urbanistes.
Le droit de l’urbanisme évolue fréquemment et devient de plus en plus pointu : serait-ce au risque d’être mieux connu et maîtrisé par les juristes que par les urbanistes ?
Soazic Marie : Non, les urbanistes suivent de très près l’actualité du droit de l’urbanisme dont la complexité et les adaptations permanentes posent en revanche de nombreuses difficultés aux élus locaux. Du reste, l’élaboration des documents d’urbanisme est largement entre les mains des urbanistes, car les élus ne sont pas des experts, ni en urbanisme ni en droit.
Frédéric Rolin : Pour ce qui concerne l’urbanisme réglementaire, qui est celui auquel les urbanistes sont principalement confrontés – les SCoT [schémas de cohérence territoriale, ndlr] et les PLU [plans locaux d’urbanisme] –, je pense que le droit ne change pas si fréquemment. Le Code de l’urbanisme repose sur une base extrêmement éprouvée, notamment pour ce qui concerne le zonage, mais aussi le règlement, dont les chapitres ont changé, mais pas les règles principales. Et puis, il y a les dispositifs de projet, les OAP [orientations d’aménagement et de programmation], pour lesquelles il appartient de plus en plus aux urbanistes d’écrire le droit. Ce sont les urbanistes qui ont produit la doctrine en matière d’OAP, disposition peu normée dans le Code. Enfin, chaque évolution du droit de l’urbanisme fait l’objet d’un travail d’interprétation, mais cela ne représente pas l’essentiel des enjeux. En réalité, depuis la refonte du Livre 1er du Code de l’urbanisme4, qui a notamment rendu facultative la présentation par article du PLU, les urbanistes se sont saisis du droit pour restructurer les documents réglementaires.
Comment pourriez-vous décrire l’évolution du droit lors des vingt dernières années en matière d’urbanisme réglementaire et pré-opérationnel. Les collectivités locales n’ont-elles d’autre choix que de s’attacher les services de bureaux d’études ou cabinets d’avocats, du fait de la technicité accrue du droit de l’urbanisme ?
S. M. : C’est une conséquence de ce qu’on a appelé la maximisation des objectifs du droit de l’urbanisme : au fil du temps, on lui a assigné des objectifs de plus en plus nombreux et variés, il est devenu le réceptacle d’un grand nombre de politiques publiques – logement, environnement, adaptation au changement climatique –, chacune très importante. Plus le droit de l’urbanisme est au cœur des politiques publiques, plus il devient complexe, notamment dans ses rapports avec les autres législations relatives à ces problématiques. Du point de vue des collectivités territoriales, il y a de fortes inégalités entre celles d’une certaine taille, qui sont dotées de services d’urbanisme avec une expertise, et celles, plus modestes, qui n’ont pas les moyens d’appréhender cette complexité.
Norbert Foulquier : On peut ajouter à cela le fait que les services des préfectures sont de plus en plus en difficulté pour répondre aux demandes des collectivités. Ces dernières ont recours à une forme d’externalisation pour l’élaboration des documents d’urbanisme, mais aussi pour l’instruction des permis de construire, car les services de l’État sont de plus en plus submergés, faute de personnel. Cette faiblesse des services de l’État et le manque de culture urbanistique dans la fonction publique territoriale, plus administrative et juridique, ont amené les collectivités à externaliser ces missions, de différentes manières: globalement pour les plus petites, et sur certaines expertises pointues pour les plus structurées comme l’écologie, la cartographie, etc.
Propos receuillis par Damien Augias
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