“Il est nécessaire de cartographier les changements”

Sébastien Soriano, directeur général de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN), revient sur les révolutions technologiques qui ont bouleversé l’univers de la cartographie. Il évoque la stratégie de l’institut, qui passe notamment par la centralisation des cartes liées aux services publics, la collaboration avec d’autres grandes entités, et l’emploi de l’intelligence artificielle pour cartographier les transitons en cours.

 

Reve­nons un peu en arrière : à quel moment l’IGN est-il entré dans l’ère du digital ?

Très tôt, puisque l’informatisation de l’institut com­mence dès les années 1970, avec les pre­miers pro­ces­sus d’automatisation. En 1986, on s’oriente vers les bases de données, le sup­port de concen­tra­tion de l’information s’informatise très vite. Ensuite, il y a le tour­nant du GPS, auquel l’IGN contri­bue for­te­ment, nous avons d’ailleurs, encore aujourd’hui, un ser­vice de géodésie, com­posé d’une soixan­taine de per­sonnes ain­si qu’une infra­struc­ture dont les équipements per­mettent aux satel­lites de fonc­tion­ner. On peut aus­si citer l’imagerie, qui est passée de l’analogique au numérique en 1992: une révolution à laquelle l’IGN a par­ti­cipé en inven­tant lui-même des caméras numériques par­mi les premières du monde. Une autre grande étape a été le lan­ce­ment du Géoportail par Jacques Chi­rac, en 2006. Les données géographiques ont connu des évolutions tech­no­lo­giques majeures tout au long de l’histoire et l’IGN a tou­jours accom­pagné le sec­teur à cha­cun de ses pas.

Tout cela implique une veille tech­no­lo­gique permanente…

Tech­no­lo­gi­que­ment, je le répète sou­vent : nous n’avons rien à envier à Google. L’IGN a tou­jours été à la pointe et a la chance de dis­po­ser – et c’est qua­si­ment unique au monde – de l’intégration entre la par­tie opérationnelle (la pro­duc­tion de bases de données et de cartes) et la par­tie recherche. Nous avons trois labo­ra­toires de recherche, dont deux concernent particulièrement l’activité car­to­gra­phique : le LASTIG et l’autre à l’Institut de phy­sique du globe. Le dia­logue très fruc­tueux entre la recherche et la pro­duc­tion au sein de l’IGN nous connecte aux ten­dances mon­diales. De plus, notre troisième chaînon est l’enseignement supérieur. C’est un immense atout aujourd’hui, étant donné les ten­sions sur les talents.

Fondée en 1941, dans la foulée de la nais­sance de l’IGN, l’École natio­nale des sciences géographiques (ENSG-Géomatique) accueille 400 élèves. Elle a beau­coup gran­di ces dernières années et ali­mente l’ensemble du marché. Le lien entre ces trois chaînons per­met de se main­te­nir en per­ma­nence à l’état de l’art tech­no­lo­gique. C’est une très grande force et cer­tai­ne­ment l’une des clés de notre contri­bu­tion à la sou­ve­rai­neté de l’État français.

L’arrivée d’acteurs privés comme Google dans le domaine de la car­to­gra­phie a jus­te­ment posé la ques­tion de la sou­ve­rai­neté de la représentation de nos ter­ri­toires. Quelle est la posi­tion de l’IGN par rap­port à cette concurrence ?

Cela pose des ques­tions exis­ten­tielles. Trois rou­leaux com­pres­seurs sont passés sur le sec­teur. Le pre­mier, c’est Google; le deuxième, c’est OpenS­treet­Map; le troisième, ce sont les collectivités locales. Les acteurs comme Google financent la car­to­gra­phie avec un autre modèle économique, qui est l’économie de l’attention. La carte est un point d’entrée fabu­leux pour cap­ter l’attention qu’ils ont inves­tie avec énormément de talent – il faut le reconnaître. Cela a bous­culé l’IGN, qui était à la fois un ins­ti­tut tech­nique et un ins­ti­tut en rap­port avec le grand public. Google nous a un peu « ubérisés » en fai­sant notre tra­vail à notre place, avec des atouts considérables en termes de spectre d’activités et de dimen­sion mon­diale, contre les­quels nous pou­vons dif­fi­ci- lement lut­ter. Sur­tout, la force de Google et d’Apple est d’avoir mis tout cela dans les smartphones.

Ce bond a été déterminant et tous les ins­ti­tuts car­to­gra­phiques ont été dépassés à ce moment- là. Ensuite, OpenS­treet­Map nous a appris que l’on pou­vait mobi­li­ser la mul­ti­tude et s’appuyer sur des dyna­miques col­lec­tives pour faire de la car­to­gra­phie. Il y a d’ailleurs deux points com­muns entre Google et OpenS­treet­Map : ils sont mon­diaux et vont cher­cher des effets de réseau. Ce qui crée un cercle ver­tueux: plus vous avez de données, plus vous obte­nez des résultats per­ti­nents, plus vous avez d’utilisateurs, plus il y a de données. Cet effet de réseau est typique de l’économie des pla­te­formes. Les ins­ti­tuts car­to­gra­phiques n’y ont pas eu accès et ont raté, quelque part, cette étape. Ce qui a été déstabilisant pour eux.

Enfin, le troisième phénomène concerne les collectivités locales, qui ont logi­que­ment inten­si­fié la connais­sance de leur ter­ri­toire. Mais il a fal­lu par­fois trou­ver la bonne arti­cu­la­tion pour éviter les dou­blons inef­fi­caces et faire en sorte que nos actions se ren­forcent. Ces trois révolutions pro­posent de nou­veaux modèles d’alliances et d’écosystèmes qui ont un peu isolé l’IGN à chaque fois. C’est la rai­son pour laquelle j’ai lancé l’initiative « Géocommuns », consis­tant jus­te­ment à nouer des alliances, à faire écosystème, avec le « super­pou­voir » qui est le nôtre : être l’agence de l’État. Cette légitimité d’agir au nom de la nation doit nous per­mettre de ras­sem­bler les énergies dis­po­nibles plutôt que d’être un ins­ti­tut seule­ment expert ; une pos­ture qui a ten­dance à éloigner le pro­fane et rendre plus dif­fi­cile la fédération des acteurs.

 

Lire la suite de cet article dans le n°432 

Pro­pos recueillis par Rodolphe Casso

©Franck Beloncle

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