La folie productiviste agricole de la Hollande, qui a fait du pays le deuxième exportateur au monde, a entraîné de telles dégradations des sols, que cela en est devenu un débat de société qui oppose les défenseurs de l’environnement aux acteurs du monde agricole, principaux responsables des émissions d’azote.
Les sols des Pays-Bas sont gorgés d’azote : l’agriculture, qui a fait du pays un géant de l’exportation, est la grande responsable de cette pollution qui se caractérise par la libération d’ammoniac via le fumier. Les impacts environnementaux sont forts et largement documentés : bouleversement des milieux naturels et de la qualité des sols, pollution des eaux, acidification, prolifération des algues vertes… La biodiversité recule dans certaines zones sensibles et des sites Natura 2000 ne sont pas épargnés par les effets d’une « crise » qui touche l’ensemble du territoire. Les directives européennes « Oiseaux » et « Habitats » ne sont plus respectées et les niveaux de pollution et de concentration sont tels qu’un mouvement citoyen de contestation, appuyé par des ONG pour la protection de l’environnement, a, dès 2014, porté l’affaire auprès des tribunaux face à l’inaction de l’État néerlandais.
Ce sujet complexe croise des thématiques d’usage du sol, de préservation des milieux et de santé publique. Cristallisant les points de vue et les craintes, confrontant les idéologies, il s’est immiscé dans le débat du quotidien et a provoqué dans tout le pays un questionnement profond, parfois clivant, sur l’avenir.
La première séquence judiciaire a débouché, en 2019, sur un avis sans équivoque de la Cour suprême (la plus haute juridiction de l’État) : l’État néerlandais se doit d’accélérer la réduction des émissions azotées, avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. En effet, sans plan coercitif d’atténuation, les projets d’aménagement qui engendrent de nouvelles émissions (exploitations agricoles, mais aussi routes, aéroports, habitations) ne pourront être autorisés et donc réalisés. Les décideurs publics n’ont ainsi eu d’autre choix que d’intervenir, après des décennies de valorisation d’un système productif à sens unique et d’une politique de l’autruche assumée, sur les externalités négatives produites. Non sans conflits sur la planification territoriale et le bon usage/ affectation des sols : le pays se trouve plongé dans une crise politique qui dure et questionne à grande échelle les choix en termes d’aménagement du territoire, ses équilibres sociaux, et l’organisation de son appareil productif.
Le soft power des fleurs
Cette crise de l’azote est l’ombre au tableau d’un pays qui, depuis la Seconde Guerre mondiale, s’est imposé comme un leader mondial de l’agriculture. Tout d’abord, dans la production de fleurs, véritable emblème national (les Pays-Bas sont premier exportateur mondial), qui en a fait non seulement une puissante industrie, mais également un élément d’identité esthétique et de soft power avec ses grands paysages convoités par les touristes et amateurs de photographies ; le grand public a en tête les vastes champs de tulipes de la plaine du Keukenhof, éclatante de couleurs, immortalisée par Van Gogh ou Monet. Avec les moulins, les fleurs sont la composante incontestable de l’iconographie mondialisée des plaines hollandaises.
Mais derrière les pages Instagram bigarrées, la réalité est plus sombre. Car la production de fleurs est polluante, avec de multiples rejets d’intrants et de produits phytosanitaires qui impactent durablement les sols et la qualité des eaux. Une étude de l’Institut national néerlandais pour la santé publique et l’environnement (Rijksinstituut voor Volksgezondheid en Milieu), publiée en 2021, a montré que « plus de la moitié des 216 sources d’eau potable néerlandaises ont, ou auront, des problèmes de qualité ou de quantité d’eau, actuellement ou prochainement. Des substances polluant les eaux non traitées ont été retrouvées dans 135 sources d’eau potable ». Cependant, le dépassement des seuils autorisés n’est pas dû qu’à la production des fleurs, mais bien à un modèle agricole dans son ensemble qui se retrouve aujourd’hui à bout de souffle.
Elias Sougrati
Opération escargot d’agriculteurs contre les mesures visant à réduire les émissions d’azote, le 6 juin 2022, Stroe, Pays-Bas.
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