Il y a quelque chose de pourri au royaume des Pays-Bas
06-22-2022,Stroe,The Netherlands.Farmers protesting against measures to cut down nitrogen emissions

La folie productiviste agricole de la Hollande, qui a fait du pays le deuxième exportateur au monde, a entraîné de telles dégradations des sols, que cela en est devenu un débat de société qui oppose les défenseurs de l’environnement aux acteurs du monde agricole, principaux responsables des émissions d’azote.

 

Les sols des Pays-Bas sont gorgés d’azote : l’agriculture, qui a fait du pays un géant de l’exportation, est la grande res­pon­sable de cette pol­lu­tion qui se caractérise par la libération d’ammoniac via le fumier. Les impacts envi­ron­ne­men­taux sont forts et lar­ge­ment documentés : bou­le­ver­se­ment des milieux natu­rels et de la qua­lité des sols, pol­lu­tion des eaux, aci­di­fi­ca­tion, prolifération des algues vertes… La bio­di­ver­sité recule dans cer­taines zones sen­sibles et des sites Natu­ra 2000 ne sont pas épargnés par les effets d’une « crise » qui touche l’ensemble du ter­ri­toire. Les direc­tives européennes « Oiseaux » et « Habi­tats » ne sont plus respectées et les niveaux de pol­lu­tion et de concen­tra­tion sont tels qu’un mou­ve­ment citoyen de contes­ta­tion, appuyé par des ONG pour la pro­tec­tion de l’environnement, a, dès 2014, porté l’affaire auprès des tri­bu­naux face à l’inaction de l’État néerlandais.

Ce sujet com­plexe croise des thématiques d’usage du sol, de préservation des milieux et de santé publique. Cris­tal­li­sant les points de vue et les craintes, confron­tant les idéologies, il s’est immiscé dans le débat du quo­ti­dien et a pro­voqué dans tout le pays un ques­tion­ne­ment pro­fond, par­fois cli­vant, sur l’avenir.

La première séquence judi­ciaire a débouché, en 2019, sur un avis sans équivoque de la Cour suprême (la plus haute juri­dic­tion de l’État) : l’État néerlandais se doit d’accélérer la réduction des émissions azotées, avec une épée de Damoclès au-des­sus de la tête. En effet, sans plan coer­ci­tif d’atténuation, les pro­jets d’aménagement qui engendrent de nou­velles émissions (exploi­ta­tions agri­coles, mais aus­si routes, aéroports, habi­ta­tions) ne pour­ront être autorisés et donc réalisés. Les décideurs publics n’ont ain­si eu d’autre choix que d’intervenir, après des décennies de valo­ri­sa­tion d’un système pro­duc­tif à sens unique et d’une poli­tique de l’autruche assumée, sur les externalités négatives pro­duites. Non sans conflits sur la pla­ni­fi­ca­tion ter­ri­to­riale et le bon usage/ affec­ta­tion des sols : le pays se trouve plongé dans une crise poli­tique qui dure et ques­tionne à grande échelle les choix en termes d’aménagement du ter­ri­toire, ses équilibres sociaux, et l’organisation de son appa­reil productif.

Le soft power des fleurs
Cette crise de l’azote est l’ombre au tableau d’un pays qui, depuis la Seconde Guerre mon­diale, s’est imposé comme un lea­der mon­dial de l’agriculture. Tout d’abord, dans la pro­duc­tion de fleurs, véritable emblème natio­nal (les Pays-Bas sont pre­mier expor­ta­teur mon­dial), qui en a fait non seule­ment une puis­sante indus­trie, mais également un élément d’identité esthétique et de soft power avec ses grands pay­sages convoités par les tou­ristes et ama­teurs de pho­to­gra­phies ; le grand public a en tête les vastes champs de tulipes de la plaine du Keu­ken­hof, éclatante de cou­leurs, immortalisée par Van Gogh ou Monet. Avec les mou­lins, les fleurs sont la com­po­sante incon­tes­table de l’iconographie mondialisée des plaines hollandaises.

Mais derrière les pages Ins­ta­gram bigarrées, la réalité est plus sombre. Car la pro­duc­tion de fleurs est pol­luante, avec de mul­tiples rejets d’intrants et de pro­duits phy­to­sa­ni­taires qui impactent dura­ble­ment les sols et la qua­lité des eaux. Une étude de l’Institut natio­nal néerlandais pour la santé publique et l’environnement (Rijk­sins­ti­tuut voor Volks­ge­zond­heid en Milieu), publiée en 2021, a montré que « plus de la moi­tié des 216 sources d’eau potable néerlandaises ont, ou auront, des problèmes de qua­lité ou de quan­tité d’eau, actuel­le­ment ou pro­chai­ne­ment. Des sub­stances pol­luant les eaux non traitées ont été retrouvées dans 135 sources d’eau potable ». Cepen­dant, le dépassement des seuils autorisés n’est pas dû qu’à la pro­duc­tion des fleurs, mais bien à un modèle agri­cole dans son ensemble qui se retrouve aujourd’hui à bout de souffle.

 

Elias Sou­gra­ti

Opération escar­got d’agriculteurs contre les mesures visant à réduire les émissions d’azote, le 6 juin 2022, Stroe, Pays-Bas.

©pmvfoto/Shutterstock

 

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