L’urbanisation doit désormais se penser dans le cadre d’une problématique du « bon usage des sols » qui n’a été posée que récemment, dans sa globalité, par des organismes comme la FAO, le Giec, la Commission européenne ou l’Ademe.
Cette problématique prend en compte les nombreuses interactions entre les fonctions utilitaires des sols (agriculture, urbanisation, paysages, production d’énergies renouvelables…) et leurs fonctions écologiques (régénération de l’air, stockage du carbone, régulation des cycles de l’eau, régulation climatique, biodiversité…).
Ces interactions prennent souvent, mais pas toujours, la forme de dégradations (épuisement, érosion, tassement, déforestation, stérilisation, pollutions…) et elles peuvent varier fortement en fonction du climat, de la géologie et des densités d’occupation.
La prise en compte de cette problématique induit un changement radical dans la façon d’appréhender l’usage des sols. Hier considérés comme des « surfaces (en deux dimensions) » pouvant porter différentes formes « d’activités humaines », ils doivent désormais être regardés comme des « milieux vivants en trois dimensions » assurant un nombre important de « missions vitales » pour l’humanité. Leur « qualité » et leur « santé » apparaissent alors comme des critères plus importants que leur affectation fonctionnelle.
Si le « zéro artificialisation nette » (ZAN) a l’incontestable mérite de siffler la fin d’un relatif « laisser-faire » foncier, il présente la faiblesse de rester prisonnier d’une logique surfacique et fonctionnaliste, aujourd’hui dépassée.
En considérant implicitement comme « écologiquement positive » toute surface agricole et naturelle, et comme « écologiquement négative » toute surface urbanisée, il passe à côté d’une réalité beaucoup plus complexe. Il est en effet facile de montrer que le bilan écologique d’un jardin urbain privatif arboré et cultivé sans pesticide est supérieur à celui d’un champ de culture saturé de glyphosate et asséchant sans vergogne la nappe phréatique, ou même que celui d’une friche forestière non entretenue et qui, un jour ou l’autre, partira en fumée dans un incendie. Une application mécanique et indifférenciée du ZAN conduira donc à des dérives qui sont déjà perceptibles : surdensification de centralités déjà saturées, pressions immobilières et foncières aux effets sociaux délétères, renaturation à grands frais de friches industrielles inutilisables…
L’un des défis que devra résoudre la planification urbaine au cours des prochaines décennies, sera d’introduire des critères pédologiques qualitatifs dans la planification quantitative des surfaces, sans pour autant tomber dans des « usines à gaz » réglementaires. Car la planification surfacique a l’immense avantage de la simplicité et de la lisibilité.
L’une des pistes consistera sans doute à attribuer aux parcelles urbanisables un « coefficient de constructibilité », tenant compte de leur contribution écologique (part des emprises en pleine terre, couvert végétal, stockage de l’eau…). Le principe est déjà appliqué dans le plan local d’urbanisme (PLU) climatique de Paris, qui prévoit la possibilité d’échanger, pour les immeubles existants, des « bonus de surélévation » contre la renaturation de cours intérieures.
La prise en compte des enjeux écologiques conduira aussi à sortir du référentiel de la parcelle et à s’intéresser plus activement aux « continuités » favorisant la circulation de flux ayant un impact écologique ou climatique : l’air, les eaux de pluie et différentes catégories d’espèces animales se déplaçant dans le sol, sur le sol ou au-dessus.
Jean Haëntjens, économiste et urbaniste