« Il y a une tendance à supprimer du futur ce qui nous semble indésirable »
Imaginaires post-carbone

Louise Jammet, chercheuse postdoctorante sur le programme Plan urbanisme construction architecture (Puca) « Les imaginaires des métropoles post-carbone », au sein de l’agence d’architecture AREP, interroge les limites d’une prospective idéalisée sur le futur des territoires décarbonés.

Quelles sont les com­po­santes d’une métropole post-carbone ?

Elle n’est pas si différente de la métropole actuelle. Les faces-arrières naissent prin­ci­pa­le­ment de nos besoins d’évacuer nos déchets, de nous nour­rir et de nous déplacer. Dans l’ère carbonée, nous les avons éloignées des habi­tats en rai­son des nui­sances et de leurs fonc­tions indésirables. Aujourd’hui, nous en héritons. Je pars du pos­tu­lat que l’on ne peut pas pen­ser l’avenir de ces lieux que par leur dis­pa­ri­tion, mais envi­sa­ger la manière dont leur trans­for­ma­tion par­ti­cipe à inven­ter des métropoles post-car­bone. Ce phénomène a créé de grandes infra­struc­tures à dis­tance des zones urbaines, qui devraient être relocalisées.

Pour­quoi ces faces-arrières ne sont-elles pas l’objet de prospective ?

Ce ne sont pas des lieux désirables. La pros­pec­tive sou­haite mon­trer des futurs que l’on envie. Les images pro­duites représentent des métropoles où l’on vit mieux, où l’on a cessé de gas­piller et où les rues sont apaisées. Il y a une ten­dance à sup­pri­mer du futur ce qui nous semble indésirable. Tou­te­fois, on ne peut pas omettre ces fonc­tions nécessaires.

La recherche s’est-elle intéressée à ce sujet ?

Oui, il y a la notion de « marges urbaines » qui consti­tuent ces espaces géographiques et éloignés des centres-villes, mais aus­si ces lieux mar­gi­naux par les per­sonnes qui les habitent, elles-mêmes marginalisées. L’ethnologue et anthro­po­logue Marc Augé a défini la ques­tion des « non-lieux », des ensembles plus dis­pa­rates que les marges urbaines qui se rejoignent entre les usa­gers, c’est‑à-dire ceux qui ont un droit d’entrée. L’exemple le plus com­mun est celui des aéroports qui sont des lieux inha­bi­tables et où nous sommes tou­jours en tran­sit. Pao­la Viga­nò et Ber­nar­do Sec­chi ont conçu la carte des « propriétés de Luci­fer » sur le ter­ri­toire du Grand Paris.

Elle iden­ti­fie ces lieux qui frac­turent la métropole et créent de grandes frontières. J’ai ensuite dressé ma propre définition de la face-arrière selon trois caractéristiques. D’une part, elle est vec­trice de fonc­tions indésirables que l’on ne sou­haite pas avoir à côté de chez soi, comme les déchetteries ou les garages auto­mo­biles. Elle induit ensuite des usages indésirables et génère des externalités comme la pol­lu­tion, le bruit et les odeurs, à l’instar des lieux fes­tifs. La troisième caractéristique est spa­tiale et urbaine. Ce sont tous ces espaces qui frac­turent le pay­sage et créent des frontières, car ils sont pollués, insa­lubres ou inha­bi­tables, comme les souterrains.

Com­ment avez-vous construit ces nou­veaux imaginaires ?

J’ai sélectionné quatre objets assez différents: les sta­tions-ser­vice, les sta­tions d’épuration, les sou­ter­rains et les lieux d’habitat des per­sonnes sans-abri. J’ai mené une recherche docu­men­taire et académique pour rendre compte d’un état des lieux et des prin­ci­pales représentations de leurs futurs. J’ai également ren­contré des pro­fes­sion­nels de ces sujets et objets pour explo­rer ensemble les ave­nirs pos­sibles et/ou envisagés sur ces thématiques. Nous avons ensuite orga­nisé un work­shop com­posé de jeunes archi­tectes et ingénieurs, afin qu’ils pros­pectent l’avenir de ces lieux, avec l’idée de les rendre utiles à la tran­si­tion écologique.

Pro­pos recueillis par Mai­der Darricau

Sta­tion d’épuration en ville pour une ges­tion locale des eaux usées. © Midjourney/CC BY-NC 4.0

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