Le réchauffement climatique et l’effondrement de la biodiversité ne marquent pas une crise, mais un bouleversement dynamique, sans retour possible à l’état antérieur. Les adaptations techniques ou les mesures conjoncturelles prises pour remédier à « la crise » pourraient malheureusement être sans effet, puisqu’elles se fondent sur les méthodes de faire actuelles.
Dans les secteurs de l’urbanisme et de la construction, il est urgent d’inventer d’autres méthodes qui tournent le dos à la modernité, orientées vers le réattachement à la Terre, visant la symbiose avec la nature dont nous faisons partie. Comment cela se traduit-il concrètement dans les projets urbains et d’architecture ?
« C’est le site qui fait le projet. » Cette petite phrase, souvent répétée, signifie au promoteur et à l’architecte que ce n’est pas la capacité maximale ou le concept hors-sol (aussi beau soit-il) qui viendrait justifier un projet, mais que c’est le site lui-même qui détermine le projet que l’on peut faire. Qu’entend-on par site ? J’inclus dans ce terme différentes échelles: un territoire, une zone, un terrain. Chacun peut définir le projet, puisque tout interfère et crée ce qu’on appelle, d’une manière plus poétique, « le génie du lieu ». Pour l’appréhender et le comprendre, il faut analyser toute sa configuration géographique et paysagère, mais aussi son utilisation par l’homme. Il faut ainsi prendre en compte : l’histoire, le paysage, le climat.
De cette analyse précise naît, comme une évidence, le projet possible, sa densité, son volume et sa matérialité. Le programme vient curieusement en deuxième critère et influe sur le projet de manière presque marginale, d’autant plus que tout projet se doit d’être réversible et adaptable aux différents usages. Le projet architectural ou urbain issu de cette démarche est sur mesure, il se glisse dans le paysage et semble, une fois construit, avoir tou- jours été là. C’est cela un projet réussi et c’est cela l’architecture de demain, celle de l’écologie : sobre, discrète, presque invisible, et adaptable aux différents usages. C’est hélas l’inverse de ce qui est recherché encore aujourd’hui. Cette démarche de conception de projet change radicalement l’approche actuelle centrée sur les programmes (détermination réglementaire, notamment les PLU), les cadres technico-administratifs (normes, labels, réglementation) et les exigences financières (rentabilité, profit, titrisation).
Complétons maintenant cette phrase par : « C’est le site qui fait le projet et le projet qui fait la règle. » Utopique diront certains, pourtant parfaitement faisable, ce n’est qu’histoire de volonté et de détermination communes. Élus, maîtres d’ouvrage, architectes, paysagistes, ingénieurs doivent prendre conscience du fait qu’il est nécessaire d’élaborer une méthode différente de projet, qui ne s’appuie plus uniquement sur les règlements et les PLU, mais sur le spécifique du contexte.
Des études préalables doivent être menées partout pour dégager les règles de ce « spécifique », sous forme de plans-schémas et intentions qui se superposeraient aux PLU. Avec cette méthode de la conception spécifique on est plus à même de faire une architecture écologique, décarbonée, avec les ressources locales et en symbiose avec la nature. Avec cette méthode, on ne démolit plus, on ne creuse plus, on fait avec tout ce qui est déjà là, on révèle, réhabilite, réemploie, mais aussi on réinterprète, complète et reconstitue.
Mais revenons à cette démarche d’analyse préalable du site. En plus de l’étude précise de sa configuration géographique et paysagère, il faut aller enquêter pour redécouvrir les ressources cachées et extraordinaires du lieu: cartes historiques superposées, arpentage systématique, visite des lieux-dits, prélèvements, échantillonnages, enquête auprès des riverains. Soyons concrets par trois exemples rencontrés lors de séances d’architecte conseil pour expliciter quels sont ces éléments sur lesquels peuvent s’appuyer de manière déterminante les projets.
Un projet de logements dans la banlieue lyonnaise
Le site est près d’un stade, de barres et de tours typiques de la modernité des années 1990, qui offrent, a priori, peu d’ancrages à l’architecte concepteur. De plus, son promoteur veut le maximum de mètres carrés, car il a payé le terrain très cher. Le projet présenté est donc un plot de 30 logements, classique, rentable, propre et bien dessiné, mais sans singularité. On examine le site attentivement : trois volumes à deux pentes sont présents sur le terrain. Ce sont des entrepôts sans valeur apparente, voués à la démolition. En regardant de plus près, ils sont bien implantés perpendiculairement à l’avenue et forment une silhouette depuis le trottoir qui longe le stade. Un repère visuel au milieu de ces blocs, un jalon dans le paysage, qui marque le passé maraîcher du site. L’idée de les conserver est immédiatement écartée, car cela empêcherait la construction du plot.
Pourtant cela qualifierait le rez-de-chaussée dans lequel le promoteur a placé des logements sans qualité par pur souci de rentabilité. Après une longue discussion, l’idée de démonter les charpentes, d’en garder l’essentiel et de construire un plot qui intègre ces trois toits à l’exacte hauteur est adoptée. Cela permettra au promoteur de placer de beaux duplex sous charpente au rez-de-chaussée, quasiment des maisons, et à l’architecte de développer un projet original et personnalisé. La réglementation PLU des hauteurs s’adapte et les normes thermiques se recalculent spécifiquement. En définitive, les règles s’adaptent au projet, et quel gain qualitatif pour celui-ci ! En prenant en compte un patrimoine sans valeur historique, on parvient à créer un bâtiment de logements ancré dans le site et qui offre comme une mémoire rétinienne aux habitants.
Nicolas Michelin
Réintégrer la nature dans l’urbanisme et l’architecture est indispensable. Une maison avec jardin arboré à Marseille. ©Nicolas Michelin