« La concertation est progressivement devenue une sorte d’injonction »
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Professionnels de la concertation, Emmanuelle Gallot-Delamézière, directrice de l’agence Aire Publique, et Éric Hamelin, associé de l’agence Repérage Urbain, en sont convaincus : leur métier est en devenir. Goutte d’eau dans le processus démocratique, il y a cinquante ans, la coconstruction avec les habitants est désormais indispensable à l’acceptation de projets, et particulièrement ceux de renouvellement urbain. Pas de désir de ville sans concertation ?

 

En quoi la concer­ta­tion est-elle essen­tielle dans les pro­jets de renou­vel­le­ment urbain et com­ment se déroule-t-elle ?

Emma­nuelle Gallot-Delamézière : La concer­ta­tion est his­to­ri­que­ment ins­crite dans l’ADN de la poli­tique de la ville en France. En 1983, Hubert Dube­dout, l’un des fon­da­teurs de l’implication citoyenne dans les quar­tiers prio­ri­taires, avait écrit un rap­port inti­tulé Ensemble, refaire la ville. Il sou­hai­tait faire des habi­tants des acteurs incon­tour­nables du chan­ge­ment. Depuis, la concer­ta­tion sur ces ter­ri­toires a procédé par tâtonnement, tout comme a pu le faire la poli­tique de la ville, qui a mobi­lisé des générations d’habitants et d’acteurs asso­cia­tifs. Cer­tains sont encore présents et font part de leur las­si­tude d’être sursollicités, sans voir les impacts directs de leur investissement.

Éric Hame­lin : Je vais prendre le contre-pied, car il faut aus­si sou­li­gner les obs­tacles et les échecs dans ce domaine. L’Anru 1 [pro­gramme de l’Agence natio­nale pour la rénovation urbaine, ndlr], démarré en 2004, a été for­te­ment cri­tiqué dans les années qui ont sui­vi, notam­ment par des socio­logues comme Jacques Don­ze­lot et des acteurs de ter­rain. L’absence de concer­ta­tion dans les pro­ces­sus de rénovation urbaine était pointée du doigt. Les démolitions étaient généralement imposées par la sphère tech­nique et les archi­tectes, qui n’ont pas ou peu débattu, selon mon avis.

Dans le cadre de l’Anru 2, la concer­ta­tion a été ins­crite dans toutes les conven­tions et dans une loi qui a précisé les conven­tions de mise en œuvre. Les collectivités et les par­te­naires étaient donc dans l’obligation de prévoir un pro­ces­sus de concer­ta­tion dans leur démarche et ont mêmes été poussés à faire appel à des pres­ta­taires comme Emma­nuelle et moi.

Cela a per­mis d’engager une nou­velle dyna­mique et de nou­velles expérimentations dans ce domaine. Tou­te­fois, les conseils citoyens sont amorphes dans de nom­breux quar­tiers, il y a un effet de déception générale dans la capa­cité à trou­ver des habi­tants qui acceptent de par­ti­ci­per sur la durée. Dans le cadre du PRU [pro­jet de rénovation urbaine] inter­com­mu­nal sur la rive droite de Bor­deaux, nous avons trouvé un noyau actif de 5 à 6 habi­tants, qui étaient des retraités vivant dans les loge­ments privés. Ceux qui s’investissent sont les sus­pects habi­tuels de la concer­ta­tion. La concer­ta­tion dans les quar­tiers popu­laires reste un sujet com­pliqué par le haut (acteurs tech­niques, sphère décisionnelle) et par le bas. La popu­la­tion est dif­fi­cile à mobi­li­ser, et pas seule­ment parce qu’on la sol­li­cite sou­vent, mais aus­si parce qu’il y a un problème de légitimité.

 

E. G.-D. : D’enjeu, la concer­ta­tion est pro­gres­si­ve­ment deve­nue une sorte d’injonction. Actuel­le­ment, elle peine à trou­ver des formes accep­tables pour l’ensemble des par­ties en présence, alors qu’elle est deve­nue cru­ciale dans un contexte de crise et de déficit démocratique fla­grant dans ces quar­tiers. Il y a même une forme de défiance par rap­port à la vie poli­tique traditionnelle.

 

Le public vous considère-t-il comme un maillon du système démocratique ?E. G.-D. : Bien sûr, nous fai­sons par­tis du système. Nous avons des leurres, nous nous appuyons notam­ment sur le tis­su asso­cia­tif et les scènes démocratiques locales pour gagner en légitimité. À la fois pour nous aider à mobi­li­ser nos publics cibles qui sont plu­riels, mais également à mener nos actions. Ce tis­su fait, par ailleurs, un tra­vail de ter­rain quo­ti­dien impres­sion­nant, y com­pris sur ces ques­tions de par­ti­ci­pa­tion citoyenne, et n’est pas tou­jours recon­nu à sa juste valeur par les pou­voirs publics et les collectivités territoriales.

É. H.: Dans le tis­su asso­cia­tif, cer­taines pos­tures peuvent être négatives, c’est très variable. Il peut y avoir un his­to­rique de rap­ports conflic­tuels avec des représentants de la col­lec­ti­vité, tech­niques ou poli­tiques. Dans ces cas-là, on arrive dans des situa­tions un peu minées. Nous sommes atten­tifs à être identifiés comme des tiers médiateurs. Nous sommes plus faci­le­ment à l’écoute des cri­tiques préexistantes, et pou­vons quand même impul­ser une nou­velle dyna­mique pour faire mieux. Nous avons tou­jours un ter­rain moins ten­du si l’on n’a pas eu de démolitions à la hache. Dans cer­tains cas, la problématique n’est pas forcément liée à l’insatisfaction par rap­port au pro­jet lui-même, mais au pro­ces­sus qui n’a pas été mené dans le bon ordre. Je pense, par exemple, au quar­tier des Bois-Blancs, près de Lille. L’enquête réalisée auprès des résidents après la démolition démontre que la plu­part sont satis­faits de leur relogement.

Dans le cadre de pro­jets de démolition, pro­ces­sus qui peut être perçu vio­lem­ment pour les habi­tants d’un quar­tier, est-il tout de même pos­sible d’inverser la vapeur pour rendre, tout compte fait, le pro­jet désirable ?

É. H. : Ce n’est pas illu­soire. La « popu­la­tion », ça n’existe pas. Il n’y a pas d’appréciation uni­voque de l’ensemble d’un quar­tier. Les gens ne sont pas d’accord entre eux par nature. Il est pos­sible que l’on se trompe sur l’opinion domi­nante d’un quar­tier, sim­ple­ment par l’effet de porte-voix. Si vous êtes dans un contexte où vous avez l’impression que la popu­la­tion, avec un article sin­gu- lier, est hos­tile aux démolitions, c’est parce que vous avez un effet de porte-voix.

E. G.-D. : Sur cette ques­tion de la désirabilité et des pro­jets de rénovation urbaine, c’est épineux. Pour moi, le pro­jet de renou­vel­le­ment urbain peut, avant tout, être désirable, si les habi­tants concertés sont les bénéficiaires directs du futur pro­jet. Or, c’est très rare­ment le cas. Nous concer­tons sou­vent avec les habi­tants en place qui vont être relogés ou sont en train de l’être, en général en dehors du quar­tier, par­fois sans pers­pec­tive de retour du fait du renchérissement des loyers. Nous avons tra­vaillé sur le sen­ti­ment de déracinement pour les familles, qui sont par­fois ancrées de longue date dans le quartier.

Tou­te­fois, ce tra­vail mémoriel ne suf­fit pas. Il faut tra­vailler sur ce double registre : celui de la pro­duc­tion de l’espace du quo­ti­dien, des pra­tiques, et celui de la pro­duc­tion de l’espace sym­bo­lique, allégorique ; des représentations qui peuvent varier, on le sait, selon les ter­ri­toires et les publics. Elles sont aus­si par­fois d’ordre cultu­rel sur les pro­jec­tions qu’on peut avoir de l’espace renouvelé.

Pro­pos recueillis par Rodolphe Cas­so et Mai­der Darricau

Les habi­tants du quar­tier des Bois-Blancs, près de Lille, uti­lisent des « car­tons de dia­logue » lors d ’une réunion de concer­ta­tion. ©D.R.

 

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