Jakarta, une capitale déchue par le climat
The flooded street in a poor residential district in the heart of Jakarta city in Indonesia capital city which show huge inequalities with modern towers surrounding it

Face à la crise climatique et aux inondations qui la frappent de plus en plus fréquemment, Jakarta fait l’objet de projets urbains et d’infrastructures titanesques, tandis que l’Indonésie s’est engagée dans le développement d’une nouvelle capitale.

 

Jakar­ta s’enfonce. Vic­time de ses construc­tions démesurées, surpeuplée, saturée par les cir­cu­la­tions, polluée, la ville coule. Elle est deve­nue le ter­rain de jeu des repor­ters pho­to­gra­phiques du monde entier qui recherchent une his­toire de décadence urbaine à mon­trer. Elle offre des clichés ambi­va­lents d’une situa­tion désespérante, mais d’un beau tra­gique pour l’œil extérieur, détaché de la crise : dans ses cou­leurs, ses points de vue, le rap­port d’échelle de l’individu qui fait face à l’immensité de la ville… Ceux de rues englou­ties, sous une eau saumâtre, brune, où sur­nagent les toits des véhicules, et émerge une popu­la­tion juchée sur des radeaux de for­tune, en attente d’une décrue qui semble, de toute évidence, bien trop lente.

Des cen­taines de mil­liers de familles dépendent de hauts murs côtiers en béton érigés au début des années 2000 qui ont, en par­tie, bou­le­versé le pay­sage et invi­si­bi­lisé le trait de côte et l’accès à la mer. Pour­tant, cette pro­tec­tion n’est en réalité que bien peu effi­cace face aux inon­da­tions, récurrentes et vio­lentes, de ces dernières décennies, conjonc­tion du ruis­sel­le­ment des pluies tor­ren­tielles et de la montée de la mer lors des tempêtes en mer de Java, sur un ter­ri­toire qui ne cesse de s’affaisser.

L’inondation qui force la prise de conscience est celle de 2005. Bilan : 80 morts et des cen­taines de mil­lions d’euros de dégâts matériels tou­chant les res­sources essen­tielles du quo­ti­dien (voi­ries, infra­struc­tures de trans­port, d’éducation et de santé), frei­nant la pro­duc­ti­vité et occa­sion­nant un manque à gagner pour les indus­triels, les commerçants, jusqu’aux ven­deurs de rue.

Une mégalopole de la démesure

Une situa­tion d’autant plus problématique que Jakar­ta est une agglomération gigan­tesque. Portée par un exode rural postindépendance et les for­tunes des grandes indus­tries issues du développement à marche forcée des années Suhar­to (mine­rais, gaz, bois, huile de palme), la métropole est passée en moins d’un demi-siècle d’un mil­lion d’habitants à envi­ron 30 mil­lions aujourd’hui, dont 11 mil­lions intra-muros. C’est la vitrine économique, le cœur névralgique du com­merce, du diver­tis­se­ment et de la sphère poli­ti­co-admi­nis­tra­tive de l’Indonésie que tous nos inter­lo­cu­teurs qua­li­fient d’« énorme ».

Pour Judicaëlle Die­trich, géographe et ensei­gnante-cher­cheuse à la Sor­bonne, « ce n’est pas Jakar­ta au milieu de nulle part, il faut la voir comme une très grande agglomération dans le quatrième pays le plus peuplé du monde, qui a un posi­tion­ne­ment stratégique entre la Chine et l’Inde et qui construit une posi­tion poli­tique, géopolitique et économique d’émergence extrêmement forte, même si elle ne fait pas par­tie des BRICS ». Son posi­tion­ne­ment, non loin du détroit de Malac­ca, entre l’île de Suma­tra et la Malai­sie, est stratégique. « Même si ce n’est pas le port majeur ni de la région ni de l’Indonésie, on est juste à côté de Sin­ga­pour et à un point de pas­sage impor­tant du point de vue des migra­tions et des échanges économiques entre l’océan Indien et le Paci­fique », précise Judicaëlle Dietrich.

La pres­sion anthro­pique et démographique a entraîné une frénésie de construc­tion. Objet de ver­ti­ca­lité, Jakar­ta res­semble sous cer­tains angles à une forêt de tours. Elle est deve­nue, en une cin­quan­taine d’années, une mégapole qui truste les clas­se­ments mon­diaux de la démesure : troisième métropole la plus peuplée du globe, plus grand nombre de centres com­mer­ciaux au monde, douzième ville ayant le plus de gratte-ciel, etc. Mais cette frénésie a un coût.

 

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Elias Sou­gra­ti

Rue inondée d’un quar­tier résidentiel pauvre au cœur de la capi­tale indonésienne qui montre d’énormes inégalités avec les tours modernes qui l’entourent.©AsiaTravel/Shutterstock

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