En surface, une fourmilière, l’éclat du soleil sur les interminables façades vitrées, des œuvres, des fontaines et des gens pressés. Sous leurs pieds, des tunnels, des cavités sombres, des grondements sourds ; parfois, cette lumière orangée typique des tunnels et le bruit des canalisations. La Défense est une immense dalle. Une configuration qui a contribué, avec ses nombreuses tours, à créer un dessus et un dessous, un envers du décor complexe et labyrinthique.
La conception même du site en fait un lieu à part. L’urbanisme de dalle, généralement utilisé en reconstruction après la Seconde Guerre mondiale, a servi de socle à ce nouveau quartier d’affaires. Imaginé à partir du milieu des années 1950, il a permis de développer un urbanisme opérationnel et une unité en surface. La contrainte, à l’époque, était de trouver un moyen de laisser circuler 60 000 véhicules par jour sur une voie qui cisaille le site.
Deux niveaux sont alors imaginés : dessous, les voies de circulation, les aires de livraison, les parkings et les zones de stockage des déchets; dessus, les piétons, les bâtiments et un espace aéré. Et pour relier ce nouveau quartier d’affaires à Paris, des platanes le long de l’allée principale jusqu’à la place de l’Étoile, un rappel des aménagements d’Haussmann dans la capitale. Le plan d’aménagement, avec son concept de dalle, est adopté en 1964 par l’établissement public d’aménagement de La Défense (Epad).
Il acte, par là même, la création d’un envers du décor. « Dans les années 1960 et 1970, l’idée était de bâtir un quartier d’affaires très dense, qui nécessitait des bases solides en béton », raconte Edouard Zeitoun, responsable du développement culturel de Paris La Défense. C’est lui qui nous guide dans ce sous-sol labyrinthique, dénommé « la cathédrale ». Près de 20 000 m² de vide, coincés sous la dalle et entre les deux bretelles de l’A14. « Si le même site était construit aujourd’hui, ces vides résiduels n’existeraient pas, ils auraient été comblés », estime-t-il. Dans cette vaste cathédrale, le poids de la dalle est réparti sur une série de murs, dans le but de ne pas s’appuyer uniquement sur les équipements accueillant le RER, sous nos pieds.
Mais si les sous-sols sont particuliers à La Défense, c’est aussi du fait du montage juridique élaboré spécifiquement pour le site. Car, dans cette configuration, le droit immobilier n’est pas adapté aux dalles. Comme le décrit le site Défense 922 sur sa page relatant l’histoire du quartier d’affaires : « Les juristes, notaires et géomètres se sont évertués à imaginer des règles spécifiques permettant de résoudre les problèmes posés par l’imbrication sur un même terrain de domaines privés (bureaux, logements, hôtels) et de domaines publics (autoroutes, parkings, voies ferrées), tous incompatibles avec les solutions juridiques traditionnelles. […] C’est ainsi que l’ancien droit de superficie dissociant le des- sus et le dessous va être remplacé par la “division en volumes”. »
Autrement dit, la quasi-totalité du sol reste propriété de l’aménageur, l’Epad, les investisseurs négociant un « volume d’air », borné dans les trois dimensions, longueur, largeur et hauteur. « Nous avons un principe très strict de séparation fonctionnelle entre ce qui se passe au-dessus et en dessous », détaille Pierre- Yves Guice, directeur général de Paris La Défense. « Mais ces infrastructures ont été construites dans un contexte où l’on avait une infinité d’espace disponible, la question de l’optimisation du foncier ne se posait pas. L’aménagement était très rationnel, le but était d’aller le plus vite du point A au point B. Tout cela s’est fait d’une manière itérative : d’abord le RER dans les années 1970, puis les premiers tunnels routiers, les parkings souterrains, les entrepôts de stockage pour chaque nouvelle tour… jusqu’au prolongement de la ligne 1 du métro en 1992. »
Et avec chaque nouvel aménagement, des vides interstitiels qui s’ajoutent, plus ou moins vastes, plus ou moins profonds, géné- rant ce chaos du dessous. Des espaces vacants sont même ajoutés dans les sous-sols lors de certaines constructions, comme lorsque le centre commercial des 4 Temps voit le jour. L’Epad décide alors d’anticiper en construisant sous le bâtiment et les quatre niveaux de parking, un futur espace destiné à accueillir un éventuel prolongement de la ligne 1 du métro. Un ouvrage similaire est conçu sous le quartier Michelet.
Mais cette configuration demandait de faire passer la ligne 1 sous la Seine. La solution, jugée trop coûteuse par la RATP, est remplacée par un tracé suivant l’A14, à l’écart de celui anticipé par l’Epad: les deux espaces n’ont jamais accueilli un passager et restent vacants aujourd’hui. « Il suffit de regarder en surface pour comprendre qu’il y a de moins en moins de foncier disponible, et qu’on s’approche du seuil de densité acceptable au-delà duquel le quartier aurait du mal à fonctionner », décrit Edouard Zeitoun. « En revanche, en dessous, par le caractère extensif et désordonné de ces infrastructures, il existe quantité de disponibilité foncière ou d’espaces en attente de vocation. »
Marjolaine Koch
« La Cathédrale », « Les Bassins », « L’Atelier », « La Fnac » et « Le Plateau », soit plus de 20 000 m² d ’espaces cachés sous la dalle. ©Adrien Teurlais