L’autoroute urbaine, infrastructure en voie de disparition

Depuis vingt ans, un mouvement mondial se dessine autour de projets urbains et paysagers de reconversion d’infrastructures routières. Le programme de recherche-action « Avenues métropolitaines » de L’Institut Paris Region s’est emparé de ce sujet, contribuant à la réflexion sur le futur des autoroutes du Grand Paris et de leurs territoires.

 

Lorsqu’en 1973, New York a dû fer­mer la West Side High­way, l’une des auto­routes les plus fréquentées de la métropole dont le via­duc venait de s’effondrer, faute d’entretien, l’ingénieur en chef chargé de la cir­cu­la­tion est resté incrédule : « Nous n’avons eu que peu de bou­chons, il n’y a pas eu de reports sur les autres voies : une par­tie du tra­fic sem­blait tout sim­ple­ment s’être évapo- rée. » Après de longs débats, l’autoroute n’a fina­le­ment pas été recons­truite. Depuis 2001, l’avenue qui la rem­place a non seule­ment per­mis d’améliorer toutes les mobilités, de réduire les nui­sances et d’ouvrir la ville sur son fleuve, mais aus­si de régénérer les quar­tiers sinistrés par la voie. La même his­toire pour­rait se racon­ter à Port­land, San Fran­cis­co, Montréal, Séoul, Bar­ce­lone, Bruxelles, Nantes ou Lyon. Comme les grands ensembles sur dalle, l’autoroute serait-elle l’un de ces héritages obsolètes du monde d’hier qui mérite d’être revi­sité de fond en comble ? Et, si c’est le cas, com­ment s’y prendre pour faire évoluer conjoin­te­ment ces kilomètres d’ouvrages en béton et les ter­ri­toires dont elles sont sevrées, pour répondre, dès aujourd’hui ?

Rup­ture dans l’histoire de l’urbanisme

L’autoroute urbaine représente une forte rup­ture dans l’histoire de l’urbanisme: jusqu’alors, la rue, l’avenue, le bou­le­vard des- servent la par­celle et activent les rez-de-chaussée. Espace social avant tout, la rue fait coha­bi­ter toutes les cir­cu­la­tions et copro­duit l’activité économique. La pensée fonc­tion­na­liste ne prend plus la ville comme un tout orga­nique, mais comme un chaos à orga­ni­ser sur le prin­cipe de la séparation (des cir­cu­la­tions et des fonc­tions urbaines). Elle s’appuie sur une vision pro­duc­ti­viste de la crois­sance économique basée sur l’augmentation des vitesses (pour cer­tains), l’usage mas­sif de l’automobile et la consom­ma­tion de res­sources (sol natu­rel ou agri­cole, énergie, matériaux) dans un monde sans fin, d’où l’expansion sans précédent des métropoles depuis le milieu du XXe siècle.

Ces prin­cipes ont conduit à la pro­gram­ma­tion de réseaux rou­tiers et auto­rou­tiers sou­vent surdimensionnés au regard des besoins réels. La com­pa­rai­son entre les régions de Paris et de Londres apporte sur ce point un éclairage intéressant. Paris a trois périphériques de 35 km, 80 km et 160 km de lon­gueur. Londres n’a pra­ti­que­ment qu’un seul grand périphérique à 40 km du centre de 188 km de lon­gueur. Dans un rayon de 30 km du centre, Londres a un tiers de kilomètres de voies rapides de moins que Paris (395 km contre 542 km), pour un nombre d’habitants et d’emplois com­pa­rable: Londres fait l’économie de 2400 hec­tares occupés par les voies rapides et leurs délaissés dans la Métropole pari­sienne, l’équivalent de trois bois de Vincennes.

Induc­tion de tra­fic et dérèglement climatique

L’offre autoroutière crée un « effet d’aubaine » qui incite à son usage, indépendamment des réels besoins de déplacement. Elle est induc­trice de tra­fic, sur­tout lorsqu’on y asso­cie des générateurs de flux rou­tiers, comme de grands centres com­mer­ciaux ou espaces logis­tiques périphériques. Avec moins de voies rapides, Londres a des niveaux de tra­fic inférieurs de moi­tié à ceux de Paris; elle expose deux à trois fois moins d’habitants au bruit rou­tier et à la pol­lu­tion de l’air lié au tra­fic. Génératrices de forts niveaux de tra­fic rou­tier, les auto­routes urbaines posent aujourd’hui de graves problèmes de jus­tice envi­ron­ne­men­tale et de santé publique. D’un point de vue spa­tial, ces voies hors-sol, sans rive­rai­neté, créent des effets de cou­pure qui enclavent et dévalorisent les villes et les quar­tiers. Avec leurs échangeurs et délaissés de voi­rie, elles arti­fi­cia­lisent et stérilisent des espaces urbains précieux dont les métropoles ont besoin pour assu­rer leur développement, sans prélever de nou­velles terres agricoles.

L’approfondissement des inégalités sociales et ter­ri­to­riales internes aux métropoles aggrave les effets du dérèglement cli­ma- tique. Et si les popu­la­tions vulnérables sont les plus exposées à ses effets négatifs, c’est le fonc­tion­ne­ment, la résilience, la qua­lité et la désirabilité des ter­ri­toires métropolitains dans leur ensemble qui sont à risque. Il est temps d’agir de manière cohérente sur tous ces sujets. Outre le pro­gramme de recherche-action « Ave­nues métropolitaines », le groupe d’experts From Roads to Streets de Metrex réfléchit depuis 2020, autour des grandes métropoles européennes, aux moyens de réinventer cet héritage du XXe siècle, dans la pers­pec­tive d’un développement plus sou- tenable, moins dépendant de l’automobile.

 

Paul Lecroart 

Occu­pa­tion tem­po­raire, le 20 sep­tembre 2015, de l ’auto­route A186, qui reliait Romain­ville à Mon­treuil, en Seine-Saint-Denis, avant son rem­pla­ce­ment en cours par un bou­le­vard pay­sa­ger pour accueillir le pro­lon­ge­ment du tram­way T1. ©Paul Lecroart IAU idF

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