« Nous ne quittons la ville que meilleure, plus grande et plus belle que nous l’avons trouvée »

Tom Bloxham est un personnage haut en couleur. Le vendeur de posters et t‑shirts qui a surfé sur les deux grandes dernières vagues musicales d’indie rock – le grunge et le Madchester – est devenu un magnat de l’immobilier britannique, dont le pipe de développement dépasse le milliard de livres sterling. Celui qui a, avec sa société Urban Splash, ressuscité les quartiers les plus durs du nord de l’Angleterre est un génial meneur d’équipe, inspirant, généreux et même un brin paradoxal. Retour en cette année anniversaire sur trente ans d’histoire turbulente.

 

Com­ment expli­quer qu’au Royaume-Uni, la régénération urbaine soit, depuis bien long­temps, une acti­vité assez com­mune de la pro­mo­tion immobilière, alors qu’en France elle est encore mar­gi­nale ou émergente, et très majo­ri­tai­re­ment portée par l’économie mixte ?

Il me semble sim­ple­ment que cela résulte du fait qu’après la première crise pétrolière, à la fin des années 1970, la situa­tion des villes en Angle­terre, et en par­ti­cu­lier celles du nord, était bien plus cri­tique. Cer­taines avaient per­du plus de la moi­tié de leur popu­la­tion, cer­tains quar­tiers étaient littéralement sinistrés. Les indus­tries du char­bon, du tex­tile, de l’acier qui en avaient fait les villes les plus riches du monde s’étaient effondrées. Cette situa­tion très dif­fi­cile impo­sait des actions des pou­voirs publics qui n’étaient pas suf­fi­sam­ment « armés » face à l’ampleur de la tâche, mais elle présentait aus­si des opportunités pour de jeunes entre­pre­neurs, car les marchés immo­bi­liers avaient implosé.

 

Com­ment êtes-vous arrivé dans le domaine de l’immobilier ?

Quand je suis arrivé à Man­ches­ter, j’ai vu tous ces bâtiments incroyables et constaté que per­sonne ne vivait en ville. Ce qui était très différent des grandes villes du monde, comme Paris, que j’avais pu visi­ter, et dont cer­tains quar­tiers étaient très dégradés mais n’avaient pas été abandonnés par les popu­la­tions. Ce que j’ai vu était une véritable décadence urbaine. J’ai pensé que cette situa­tion allait chan­ger – devait chan­ger – et je me suis ren­du compte que je pou­vais être acteur de ce changement.

Je suis né en 1963, j’ai gran­di dans les années 1960 et 1970, des années de grandes avancées tech­no­lo­giques et d’espoir en un futur mer­veilleux: Neil Arm­strong sur la Lune, le Concorde, les pre­miers ordi­na­teurs…, mais la crise est arrivée et tout s’est effondré : les grèves des mineurs, la semaine de trois jours, et la société s’est mise à stag­ner, y com­pris sur le plan cultu­rel, musi­cal notam­ment. Puis, tout d’un coup, en 1976, le punk a éclaté sur scène et j’ai adoré cette influence per­tur­ba­trice. C’était une nou­velle donne, très do-it-your­self. Cela a eu une grande influence sur moi. Je me suis dit qu’avec beau­coup de convic­tions et d’énergie, et un inves­tis­se­ment rai­son­nable, je pou­vais sans doute faire quelque chose pour ces villes. Il y avait à Man­ches­ter une effer­ves­cence incroyable et de grands bras­sages entre les domaines : la musique, le desi­gn, l’architecture, etc. Cer­taines figures ont marqué l’histoire de la musique et du desi­gn, comme Tony Wil­son, le patron de Fac­to­ry Records, et Ben Kel­ly, le célèbre architecte.

À l’époque, je ven­dais des affiches et des t‑shirts des groupes de la ville qui étaient les fers de lance d’un mou­ve­ment musi­cal qui a eu un impact planétaire, avec des groupes comme les Stone Roses et les Hap­py Mon­days. Nous éditions, ven­dions et expédiions par­tout dans le monde, mais il me fal­lait un lieu. Je me suis aperçu qu’il n’y avait aucune offre immobilière pour le com­merce émergent, aucune prise de risque des propriétaires, donc bien peu de chance que le contexte change. Sauf à y inves­tir, j’ai donc com­mencé par ache­ter un local com­mer­cial très bon marché – de l’ordre de 10 euros le m2 – parce que per­sonne ne vou­lait m’en louer un. Il était idéalement situé dans le bâtiment Afflecks, mais il était trop grand pour mon acti­vité, alors j’ai com­mencé à en louer une par­tie. Comme le lieu mar­chait, j’ai com­mencé à gagner pas mal d’argent avec les loca­tions, et à me dire que j’avais des choses à faire dans l’immobilier.

J’ai ensuite acheté à Liver­pool, pour 40 000 livres, un bâtiment aban­donné qui n’intéressait stric­te­ment per­sonne, et nous l’avons trans­formé en marché intérieur et en espaces poly­va­lents aux étages. Nous avons loué des bureaux à tout un écosystème de l’industrie créative, notam­ment à Andy Car­roll et James Bar­ton qui venaient de créer le célèbre label Cream. Nous avons ouvert un café, car cela nous sem­blait indis­pen­sable, puis un bar…, et le lieu est deve­nu très ten­dance…, et donc très ren­table. Nous avons donc repro­duit l’expérience à Man­ches­ter, avec un bâtiment appelé Jui­cy House et bien d’autres ont suivi.

 

Pro­pos recueillis par Julien Meyrignac

©Urban Splash

« Avant/après » la réhabilitation de Park Hill, à Shef­field, immense ensemble résidentiel bru­ta­liste construit en 1961. © Urban Splash

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


À pro­pos

Depuis 1932, Urba­nisme est le creu­set d’une réflexion per­ma­nente et de dis­cus­sions fécondes sur les enjeux sociaux, cultu­rels, ter­ri­to­riaux de la pro­duc­tion urbaine. La revue a tra­ver­sé les époques en réaf­fir­mant constam­ment l’originalité de sa ligne édi­to­riale et la qua­li­té de ses conte­nus, par le dia­logue entre cher­cheurs, opé­ra­teurs et déci­deurs, avec des regards pluriels.


CONTACT

01 45 45 45 00


News­let­ter

Infor­ma­tions légales
Pour rece­voir nos news­let­ters. Confor­mé­ment à l’ar­ticle 27 de la loi du 6 jan­vier 1978 et du règle­ment (UE) 2016/679 du Par­le­ment euro­péen et du Conseil du 27 avril 2016, vous dis­po­sez d’un droit d’ac­cès, de rec­ti­fi­ca­tions et d’op­po­si­tion, en nous contac­tant. Pour toutes infor­ma­tions, vous pou­vez accé­der à la poli­tique de pro­tec­tion des don­nées.


Menus