La fin du monde pavillonnaire
Projet Malakoff, avant-après. Rénovation/surélévation d’une maisonnette pour la création de deux logements à Malakoff, en construction, bois modulaire et matériaux 100 % biosourcés. Architecte : Erwan Bonduelle Architecture ; AMO : Iudo. Axonométrie : Iudo

Décrié, le modèle pavillonnaire, lancé dans les années 1960, est à bout de souffle. Avec la fin annoncée de l’artificialisation des sols, il est condamné à se réinventer. L’opportunité pour les zones périurbaines – où se concentrent les maisons individuelles avec jardin – de renouveler leur population, de rénover l’habitat, de renforcer le maillage de transports en commun et de mobilité douce, afin que les habitants s’approprient les espaces de vie. Enquête.

 

Toutes les études le montrent. La grande majo­rité des Français préfère vivre en mai­son indi­vi­duelle, pour bénéficier d’un espace extérieur, de plus de liberté et de tran­quillité. En 2023, l’Ifop avance le chiffre de 84 % 1. Selon l’Insee, en 2022, la France comp­tait 37,6 mil­lions de loge­ments, dont 55 % sont indi­vi­duels, en par­ti­cu­lier dans les zones et com­munes limi­trophes des pôles urbains, où la super­fi­cie des zones pavillon­naires n’a cessé de croître ces dernières décennies. L’Institut natio­nal d’études démographiques (Ined) pointe le fort engoue­ment pour la mai­son isolée avec jar­din, dès l’après‑Seconde Guerre mon­diale. Le loge­ment en immeuble col­lec­tif n’a plus la cote, en par­ti­cu­lier en périphérie des régions for­te­ment urbanisées, comme l’Ile-de-France.

À par­tir des années 1960–1970, la poli­tique du « tous propriétaires », sou­te­nue par des aides à la pierre et des dis­po­si­tifs d’épargne privée, entraîne la construc­tion mas­sive d’habitations indi­vi­duelles, jusqu’en milieu rural, où le phénomène a pris de l’ampleur, petit à petit. Ce type de loge­ment est dis­persé dans de petites par­celles isolées dans le pay­sage, qu’on appelle « mitage résidentiel », ou sous forme de lotis­se­ments, bâtis sur des ter­rains ou des unités foncières divisés en lots, le tout au cœur d’un ensemble équipé de vastes aménagements rou­tiers, de réseaux d’eau, d’électricité et d’assainissement. Plus encore, depuis le début des années 1990, le développement s’est inten­si­fié au point de modi­fier la mor­pho­lo­gie des villes et villages.

« Construit en masse en première, puis en deuxième cou­ronne des villes, c’est le modèle le plus archétypal, celui qui a contri­bué au développement des sur­faces com­mer­ciales périphériques, résume David Miet, ingénieur des tra­vaux publics et urba­niste, fon­da­teur de Villes Vivantes. Il représente près de 30 % des mai­sons neuves en France, sur la période 2014- 2020. » Avec l’augmentation du nombre de ménages et celle des prix du fon­cier en centre-ville, de nom­breuses familles ont accédé à la propriété d’un pavillon.

L’implantation des lotis­se­ments a nécessité l’aménagement et la via­bi­li­sa­tion de ter­rains situés sur des cen­taines de mil­liers d’hectares de par­celles agri­coles. Selon le site vie-publique.fr, en 2023, l’artificialisation des sols « oscille entre 16 000 et 60 000 hec­tares par an, selon les sources ». En 2019, France Stratégie annonçait 280 000 hec­tares de terres artificialisées d’ici à 2030, entraînant, entre autres, dimi­nu­tion des res­sources en eau potable, accrois­se­ment des phénomènes d’inondation, appau­vris­se­ment de la bio­di­ver­sité, hausse des émissions de CO2, due à l’allongement des dis­tances domicile-travail.

 

Le revers de la médaille

En s’installant dans cet uni­vers social et envi­ron­ne­men­tal sin­gu­lier, l’objectif des acquéreurs est de s’isoler des voi­sins, de pou­voir pro­fi­ter d’un jar­din, d’avoir un sous-sol pour bri­co­ler ou un garage pour ran­ger sa voi­ture, mais aus­si pour ne pas être assu­jet­ti à un règlement de copropriété. Ces «cités‑jardins» ou « lotis­se­ments-parcs » com­binent espaces privés et publics.

En s’installant dans cet uni­vers social et envi­ron­ne­men­tal sin­gu­lier, l’objectif des acquéreurs est de s’isoler des voi­sins, de pou­voir pro­fi­ter d’un jar­din, d’avoir un sous-sol pour bri­co­ler ou un garage pour ran­ger sa voi­ture, mais aus­si pour ne pas être assu­jet­ti à un règlement de copropriété. Ces «cités‑jardins» ou « lotis­se­ments-parcs » com­binent espaces privés et publics.

Pour beau­coup, ils sont syno­nymes de « nature » – qui res­semble plutôt à un pay­sage figé, au cœur d’espaces ultra-aménagés et bitumés – et de « sécurité », puisqu’à l’écart des mou­ve­ments de popu­la­tion et de la pro­mis­cuité. Conçus loin des cœurs de métropoles, les pavillons sont bâtis sur des ter­rains peu onéreux. Le découpage fon­cier et les tra­vaux de construc­tion, pas tou­jours à la hau­teur, rendent l’opération attrac­tive pour les pro­mo­teurs. Et pour les par­ti­cu­liers, c’est l’opportunité de deve­nir propriétaire à moindre coût. « En conséquence, les habi­ta­tions sont de qua­lité moyenne, par­fois même médiocre, ce qui a fini par engen­drer nombre de situa­tions de précarité énergétique », pointe Chris­tine Leconte, présidente du Conseil natio­nal de l’Ordre des archi­tectes de France.

Avec ce modèle urbain qui contraint à l’utilisation systématique de la voi­ture du fait de son orga­ni­sa­tion, de son éloignement, on ne marche pas, on roule. En outre, il oblige les collectivités à mul­ti­plier les infra­struc­tures de ser­vices, de loi­sirs et les zones com­mer­ciales – là aus­si, à l’origine d’un bétonnage en règle d’espaces natu­rels et de terres agri­coles –, ce qui accroît les dépenses sans pour autant répondre effi­ca­ce­ment aux besoins de proxi­mité. « Ce type d’aménagement s’est struc­turé de manière sectorisée, avec des zones dis­tinctes dédiées res­pec­ti­ve­ment aux habi­ta­tions, au tra­vail, aux loi­sirs et à la consom­ma­tion, mal des­ser­vies par les trans­ports en com­mun et rare­ment équipées de voies de mobi­lité douce, note-t-elle. C’est pour­quoi il est labo­rieux de cir­cu­ler de l’une à l’autre autre­ment qu’en voiture. »

 

Yves Deloi­son 

Pro­jet Mala­koff, avant-après. Rénovation/surélévation d’une mai­son­nette pour la création de deux loge­ments à Mala­koff, en construc­tion, bois modu­laire et matériaux 100 % biosourcés. Archi­tecte : Erwan Bon­duelle Archi­tec­ture ; AMO : Iudo. Axonométrie : Iudo

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