Expérimenter, quitte à se tromper. Tel est le leitmotiv de la direction Aménagement et Grands Projets (DAGP) de la Métropole Rouen Normandie. D’abord testée sans l’expliciter clairement, la prise en compte du genre est désormais intégrée dans la conception de l’espace public, et assumée par les élus territoriaux.
Tout est né d’une réflexion interne conduite par le directeur du service Aménagement et Grands Projets (DAGP) de la Métropole Rouen Normandie, Bertrand Masson. Après un comptage sur trois ponts centraux de la métropole, le constat est sans appel : presque aucune femme ne les traverse. Interpellé par cette anomalie, le service réexamine l’un de ses grands projets en cours : une promenade le long des quais de la rive gauche, qui a reçu le Grand Prix national du paysage en 2018 (Jacqueline Osty et associés et l’atelier de paysages et d’urbanisme In Situ). Sur un périmètre destiné à la pratique sportive, l’idée d’un city stade avait d’abord été évoquée. Les urbanistes en ont bien conscience, celui-ci sera investi majoritairement par des hommes. En conservant le même revêtement au sol – quitte à se tromper sans trop de frais – la Métropole choisit d’y installer une piste de roller derby, un sport plutôt féminin et en plein essor sur le territoire. Aucun panneau n’indique la fonction de cet espace sportif et ludique, et pour cause : tout comme un city stade, cet aména- gement destiné aux patins à roulettes quads n’est pas aux normes d’une piste professionnelle. Le pari est doublement réussi ! D’une part, les amatrices de roller derby s’y rejoignent pour s’entraîner. D’autre part, le public est mixte et les activités pratiquées multiples. Les lignes d’une piste de roller derby sont identifiables, mais leur forme ovale n’est pas un élément butoir à l’appropriation de cet espace. En somme, sa sobriété a permis de ne pas étriquer son usage. Une diversité d’activités et de populations qui n’aurait pas été constatée avec un simple city stade, comme le souligne Bertrand Masson : « On ne danse pas entre des cages de football et des paniers de basketball, ça ne fonctionne pas. »
La communication invisible
À la suite de cette expérimentation réussie, les services de la Métropole Rouen Normandie décident d’intégrer pleinement la question du genre dans leurs projets d’aménagement. Pourtant, pas question d’user d’une communication outrancière sur le sujet ou d’adosser des panneaux explicatifs à ces espaces. « Si des indications sont nécessaires pour comprendre, alors nous n’avons pas été clairs. Ce que l’on souhaite raconter, l’aménagement doit être en capacité de le démontrer. » Les usages ne sont ainsi pas définis et arrêtés. Pour dégenrer la ville, il faut supprimer ces « murs invisibles » qui altèrent la liberté de mouvement. Étudiées par le géographe Guy Di Méo sous le prisme de la peur de la rue à Bordeaux, ces frontières sont augmentées par les discours médiatiques et politiques, et représentent un défi pour de nombreux territoires.
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Maider Darricau
Photographie : La piste de roller derby, sur le quai de la rive gauche, à Rouen ©Karolina Samborska