Le BIMBY au service de l’intergénérationnel
Rares sont les collectivités à ne pas être concernées par les enjeux de redistribution de logements, avec, d’un côté, des familles cherchant à se loger dans des zones bien desservies et relativement centrales, de l’autre, des personnes âgées souhaitant rester dans leur quartier, mais dans un logement adapté à leurs besoins.
En 2021, le « zéro artificialisation nette » (ZAN), objectif fixé dans le cadre de la loi climat et résilience, est venu renforcer un phénomène apparu il y a un peu plus d’une décennie : le Bimby. L’acronyme Build in my back yard [littéralement : « Construire dans mon jardin », ndlr] soulignait déjà ce besoin de densifier des zones souvent pavillonnaires et distendues, où les terrains pouvaient atteindre 2 000 m². Ainsi, certains lotissements ont vu leur moyenne d’âge grimper au fil des ans, alors même que les maisons n’étaient adaptées ni par leur surface ni par leurs équipements à des occupants en perte d’autonomie.
Jean-Michel Léger, chercheur associé à l’Ipraus (Institut parisien de recherche : architecture, urbanistique, société), identifie trois formes de processus de densification de l’habitat : « Une première, qui est spontanée, lorsque des propriétaires particuliers procèdent à la division parcellaire ; une deuxième, accompagnée par les collectivités et les organismes de conseil publics et parapublics ; enfin, celles portées par les bureaux d’études privés, développant la démarche Bimby. » Parfois, les deux dernières formes se rencontrent, lorsque les collectivités se font conseiller par des bureaux d’études pour accompagner et même encourager les démarches Bimby grâce à un PLU (plan local d’urbanisme) adapté.
Villes Vivantes, qui se qualifie de « start-up d’urbanisme », joue le maillon entre les particuliers et les collectivités. « Nous proposons aux collectivités d’aller mobiliser les propriétaires pour adapter l’offre de logements aux besoins du territoire », explique Thomas Hanss, cofondateur de Villes Vivantes. L’une des premières expérimentations menées par ce bureau d’études s’est déroulée au Creusot-Montceau, en Saône-et-Loire, où la communauté urbaine a d’abord déployé le dispositif sur les communes du Creusot et de Saint-Vallier, entre juillet 2016 et décembre 2018, avant de l’étendre à sept communes supplémentaires. Le principe consiste à proposer aux particuliers un entretien gratuit avec des professionnels de l’architecture, de manière à les aider à concrétiser leur projet. La modélisation 3D permet de visualiser le résultat et envisager des solutions nouvelles grâce aux compétences des experts mis à disposition. Le projet peut simplement consister à réaliser une division parcellaire en vue de vendre un lot à bâtir ou construire un second logement sur la parcelle.
Cet accompagnement gratuit, qui peut se poursuivre sur le plan administratif et de suivi de chantier, a permis à 373 projets de voir le jour sur la première phase, sur un objectif initial de 300. Ce sont ensuite 81 projets qui ont été achevés sur un objectif de 80 à fin 2018. Devant le succès de l’opération, la seconde phase entamée en 2019 a permis de développer 468 projets supplémentaires. Sur ce lot, la collectivité espère une production effective de 300 nouvelles offres de logements, ce qui équivaut à 40 % des objectifs annuels de production à l’échelle des neuf communes concernées. « La plupart de nos projets concernent des propriétaires âgés qui détachent un terrain et le mettent en vente, précise Thomas Hanss. Et les acquéreurs sont souvent des jeunes ou des familles qui cherchent à faire bâtir dans des secteurs bien situés. Ils peuvent ainsi éviter de se déporter vers les secteurs périphériques, et renforcer la dynamique du centre-bourg. Finalement, la mixité intergénérationnelle se fait par ce partage du foncier. »
Lors de ces opérations, les cas de figure rencontrés sont souvent les mêmes : les propriétaires choisissent de construire une petite maison de plain-pied sur leur propre terrain, puis de vendre leur maison principale généralement à une famille qui va la rénover. « Souvent, l’objectif des aînés est de s’assurer de rester dans leur environnement, avec leurs repères », ajoute Thomas Hanss. Plus rarement, son équipe accompagne la création d’une construction destinée à l’accueil d’un parent, comme une alternative à la maison de retraite. Mais cette solution, plus complexe, peine à se développer en France. Enfin, un dernier cas de figure consiste, lorsque le terrain n’est pas adapté ou les finances plus contraintes, à aménager un appartement au rez-de-chaussée des maisons construites sur un sous-sol complet non enterré, typiques des années 1960. Cette méthode, qui parfois demande d’y ajouter une annexe, permet de disposer d’un logement adapté à moindre coût. Le reste de la maison est ensuite proposé à la location, les retraités bénéficiant ainsi d’un revenu supplémentaire.
Des démarches parfois fastidieuses
Ce travail de densification douce doit cependant parvenir à dépasser certains écueils, dont, bien souvent, le cahier des charges des lotissements. Ces documents peuvent empêcher les divisions de terrain, comme l’a expérimenté Jean-Michel Léger, en suivant justement l’évolution d’un lotissement qualifié de haut de gamme, à Annecy-le-Vieux, en Haute-Savoie. « Les lots étaient d’une grande superficie. Deux propriétaires, des femmes veuves, souhaitaient diviser leur parcelle pour construire une seconde maison et réduire le poids de l’entretien de leurs jardins, qu’elles ne parvenaient plus à assumer. Mais le cahier des charges du lotissement leur interdisait toute division parcellaire. Le but était de contrecarrer une hypothétique baisse de valeur des terrains. Heureusement, la loi ALUR a permis de supprimer cet écueil en mettant fin au COS [coefficient d’occupation des sols, ndlr], qui bloquait tout. Les deux habitantes ont pu contourner la règle, à la condition de décrocher l’autorisation de tous leurs voisins. » Une démarche qui reste cependant fastidieuse et peut mettre en péril l’équilibre du voisinage. Dans cet exemple, ce sont des familles qui se sont portées acquéreuses, permettant de rajeunir l’âge moyen des propriétaires du lotissement, tout en construisant une maison basse consommation qui n’a en rien grevé la valeur des autres biens.
Marjolaine Koch
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Photo de couverture : Le village du Bois Bouchaud, à Nantes, ensemble médico-social intergénérationnel de la Croix-Rouge. © Thomas Louapre / Divergence
Photo : Le « village intergénérationnel de Lanvaux », en cœur de bourg de Grand-Champ, est situé sur une anciennefriche médico-sociale. Il comprend, notamment, des petites maisons équipées pour recevoir des personnes âgées,une maison des solidarités ou encore un guichet unique des aides (CCAS, soins infirmiers et aide à domicile). Crédit : D.R.