Penser l’intégration des étudiants dans la ville
À Poitiers et Montpellier, villes de tradition universitaire, le dynamisme lié à la présence étudiante et l’ambiance festive qui l’accompagne sont plutôt vues d’un bon œil. Les défis des municipalités ne portent pas tant sur l’ordre public que sur la saturation des transports et les tensions du marché locatif.
Dans l’inconscient collectif, qui dit « étudiants » dit « fête », « agitation », « occupation tardive et bruyante de l’espace public ». Mais à Poitiers, qui accueille chaque année autour de 30 000 étudiants, soit un tiers de ses 90 000 habitants (200 000 pour la communauté d’agglomération), cette question-là ne compte pas parmi les plus brûlantes. « Nous ne constatons pas de problèmes majeurs de cohabitation, car Poitiers est une ville universitaire depuis si longtemps que ça fait partie du paysage », reconnaît Kevin Plinguet, adjoint au maire à la jeunesse et la vie étudiante. Pour anticiper d’éventuels conflits, la Ville a notamment pour coutume de réunir, dans des commissions de la vie nocturne, les différents acteurs de la fête, associations, acteurs économiques, habitants, et ce, plusieurs fois par an.
Bien sûr, certains secteurs sont plus concernés que d’autres, comme la rue du Chaudron‑d’Or, petite voie de quelque 70 mètres de long qui accueille des bars de nuit en enfilade. Nul ne s’étonne alors que cette petite « rue de la soif » fasse régulièrement l’objet de plaintes de la part de certains riverains. Mais le cas de la place Charles-de-Gaulle, qui polarise de nombreux étudiants au cœur du centre ancien, est plus constructif, car identifié comme un véritable « pôle jeunesse » : « Là, la ville s’appuie sur l’écosystème associatif du secteur axé sur l’information des jeunes, l’engagement, l’insertion avec la mission locale », explique Kevin Plinguet.
À Montpellier, où pas moins de 80 000 étudiants transitent chaque année (17 % de la population de la ville), la tolérance est aussi de mise : « François Rabelais faisait déjà la fête le jeudi soir dans les rues de la ville, se plaît à rappeler le maire, Michaël Delafosse. On identifie la vie étudiante comme festive, joyeuse. Et après le Covid, ils n’ont pas volé le droit de vivre leurs années d’études. » Preuve de son souci d’une fête « bien faite », la commune est allée jusqu’à racheter une salle de concert en centre-ville – le Rockstore, lieu emblématique de la nuit montpelliéraine – pour permettre aux jeunes « de faire la fête en ville, car souvent, ils partaient en périphérie, ce qui provoquait des problèmes d’accidents de la route ». La vie étudiante peut aussi avoir un impact significatif sur les typologies de commerces, et voir pulluler kebabs, fast-food, et autres épiceries de nuit susceptibles, là aussi, de concentrer les nuisances nocturnes. « Nous n’avons pas vraiment la main sur qui s’installe où, reconnaît Aloïs Gaborit, conseiller municipal de Poitiers à l’urbanisme et au foncier. Mais nous avons un dialogue avec les acteurs de l’aménagement, ceux qui commercialisent les cellules, et si l’on constate, en effet, des colorations dominantes sur certaines rues, dans l’ensemble, tout s’autorégule plutôt bien. » Surtout que les commerçants proposent désormais une offre de plus en plus adaptée aux différentes temporalités : « Il y a quelques années encore, on avait l’habitude de dire que, pendant les mois d’été et les vacances scolaires, Poitiers, c’était mort. Mais c’est nettement moins le cas aujourd’hui : le mois d’août 2023 a été assez exceptionnel, car de plus en plus de commerçants, dont les bars, proposent des animations à l’attention, d’un côté, du public étudiant, de l’autre, pour les familles et les touristes. Ces derniers sont de plus en plus nombreux, peut-être grâce à la politique de valorisation du patrimoine historique mené depuis le début du mandat. En tout cas, de plus en plus d’établissements comprennent comment vit la ville et s’y adaptent. » À Montpellier, l’influence des étudiants sur les commerces a ses avantages et ses inconvénients. Le président de l’université, Philippe Augé, tient à rappeler que ceux-ci « contribuent au développement économique de la ville par leurs achats », et le maire souligne que leur présence aide non seulement à l’implantation de boutiques culturelles comme les librairies, mais a aussi conduit à la décision de laisser ouvertes le week-end les bibliothèques universitaires, à l’usage de tous les habitants. En revanche, Michaël Delafosse se reconnaît « plus embêté par les épiceries de nuit qui sont les vitrines du blanchiment du narcotrafic, sur lesquelles, hélas, la législation rend les maires très impuissants ».
Des transports saturés
Si les questions de vie nocturne et de commerces semblent donc relativement maîtrisées par nos deux villes étudiantes, la mobilité constitue en revanche un challenge plus relevé, particulièrement à Poitiers : « Quand on a 30 000 étudiants concentrés, quasiment tous, sur le même campus, ça crée une trop grande affluence sur la ligne de bus n° 1 qui le relie au centre-ville », déplore le conseiller municipal Aloïs Gaborit. À tel point que la Ville envisage la création d’une « agence des temps » pour fluidifier les déplacements. « On pourrait, par exemple, aménager l’horaire des cours. Au lieu qu’ils commencent tous à 8 h 00, ils pourraient s’échelonner à 8 h 05, 8 h 10, 8 h 15…, et de même pour la fin de la journée. Ces petits écarts horaires éviteraient que des milliers d’étudiants prennent tous le même bus, ou leur voiture, au même moment, ce qui a pour effet de saturer tous les modes de transport en même temps. »
Rodolphe Casso
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Photo de couverture : Le village du Bois Bouchaud, à Nantes, ensemble médico-social intergénérationnel de la Croix-Rouge. © Thomas Louapre / Divergence
Photo : Le Color Campus est un évènement organisé tous les ans au mois de septembre, dans le cadre du mois d’accueil des étudiants de Poitiers. Crédit : Yann Gachet / Ville de Poitiers