Dense, dense, dense

Dense cité

 

Dans l’imaginaire collectif mondial, la ville dense, compacte ou haute (ou les deux à la fois) ne représente que deux réalités principales, diamétralement opposées : la grande prospérité ou la déchéance.

Jay McInerney a très bien écrit, dans son premier roman Bright Lights, Big City (1), l’attraction irrésistible des grandes villes, en l’occurrence New York, pour toutes celles et tous ceux – notamment les jeunes adultes – qui désirent prendre leur destin en main.

Des villes idéalisées, fantasmées, ou plus prosaïquement envisagées comme seul lieu possible pour un changement de condition, une élévation. Des villes dont la promesse irradiante dissimule une réalité économique et sociale aliénante, qui corrompt les ambitions et les corps des plus nombreux, à coups de déceptions et d’expédients, d’alcool et de drogues.

Cette représentation caractérise toujours une réalité contemporaine : au registre des grandes espérances urbaines, beaucoup d’appelés et peu élus ; reste donc le passage quasi obligé (études, emploi).

Dans leur immense majorité, les travailleurs des classes populaires, moyennes et même supérieures ne parviennent pas ou plus à vivre dans les cœurs des métropoles, qu’ils quittent dès lors que leur situation familiale change ou qu’ils décident de se soustraire à des conditions de mal-logement devenues pour eux inacceptables, qu’elles s’appellent colocation, exiguïté ou exorbitance.

Des trajectoires quasi immuables du fait des logiques en place de l’économie urbaine, qui conduisent, dans nos sociétés libérales, au renchérissement perpétuel de l’immobilier et du coût global de la vie dans les grandes villes. Plus c’est cher, plus elles s’élèvent ; plus elles s’élèvent, plus c’est cher.

La ville haute est symptomatique de la ségrégation sociale – de New York à Dubaï en passant par Hong Kong et Singapour –, alors même que la ségrégation concerne tout autant la ville étalée – de Los Angeles au Caire, en passant par Tokyo.

Mais la verticalité et les conditions de vie qu’elle crée la rendent en apparence ou en réalité plus insupportable. Une ségrégation qui concerne aussi la ville compacte – celle qui n’a pas pu être adaptée à l’automobile en raison d’une morphologie urbaine tout en épaisseur et aux voies étroites, au fort caractère historique et patrimonial, telles Venise, Kyoto, Palma, La Valette, Fès… –, qui subit la double pression du tourisme et de la conservation. Ce qui est rare est (toujours plus) cher.

À quoi mènent ces différents constats établis rapidement ? À l’évidence que la densité est une problématique accessoire des questions plus fondamentales posées à l’urbanisme, qui sont – entre autres – celle énoncée par Henry George (2) à la fin du XIXe siècle sur le poids de la propriété privée dans l’équilibre social de la société et le développement des villes, ou celle formulée par Henri Lefebvre, en 1968, sur la promotion d’un nécessaire « droit à la ville ». C’est fou comme le temps passe.

La ségrégation spatiale est une réalité indépendante des diverses formes urbaines, et ces dernières jouent – de manière assez injuste (les exemples sont légion) – le rôle de révélateur.

C’est pourquoi, comme s’appliquent à le démontrer différentes contributions dans ce numéro, il n’est pas raisonnable d’imaginer promouvoir une ville plus dense qui ne soit pas plus juste.

Julien Meyrignac 

 

(1) Vintage Books, 1984 ; en français, Journal d’un oiseau de nuit, trad. Valérie Durastanti, éditions Mazarine, 1986.
(2) Économiste américain (1839−1897), auteur de Progress and Poverty (1879), il développa l’idée que la terre appartient à tout le monde, et fut partisan d’une taxe foncière unique.

Photo de couverture : Les ruelles étroites de la ville de Grasse. © Lahcene Abib

 

Pour acheter le numéro 441 en version papier ou en version numérique

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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