Le devenir des mobilités s’invente en Afrique

Vir­gi­nie Bou­tueil, cher­cheuse, direc­trice adjointe du Labo­ra­toire ville mobi­lité trans­port (LVMT), et Yao Ame­dok­po, chargé de recherche au LVMT, évoquent le fort développement des mobilités infor­melles sur le conti­nent afri­cain. Le « para­tran­sit » pour­rait faire école dans les pays comme la France, pour pal­lier le prix de l’énergie ou le déficit de trans­port de cer­tains territoires.

 

Com­ment s’est développée l’offre de trans­port col­lec­tif en Afrique ?

Yao Ame­dok­po : Dans les années 1970–1980, a émergé, en lien avec le contexte de crise économique et de crise de la dette, une offre de trans­port infor­melle aus­si appelée « para­tran­sit ». Face au désengagement des États, des entre­pre­neurs de toute enver­gure ont pris sur eux de pro­po­ser des offres de trans­port dans les villes. Le phénomène s’est ampli­fié au début des années 1990, avec le développement des deux-roues, des motos-taxis, qui ont été une réponse aux conflits socio‑économiques, aux grèves, qui para­ly­saient les trans­ports publics dans cer­tains pays. Le para­tran­sit s’est ins­tallé par­tout en Afrique et il est resté une offre majeure dans les ser­vices de trans­port, représentant aujourd’hui 50 % à 80 % de la part modale motorisée dans les villes. Dans les­quelles, il est impor­tant de le rap­pe­ler, la marche est, de très loin, le pre­mier mode de déplacement.

Vir­gi­nie Bou­tueil : Dans les villes où l’ancienne puis­sance colo­niale avait mis en place des sociétés de trans­port par bus, ces sociétés ont survécu jusqu’aux poli­tiques d’ajustement struc­tu­rel des années 1980–1990. Elles ont été remplacées par une offre infor­melle de mini­bus, taxis et taxis col­lec­tifs. Dans les autres villes, comme Kiga­li [Rwan­da, NDLR], moins marquée par la colo­ni­sa­tion, et qui était aus­si, dans les années 1970, une petite ville, le para­tran­sit s’est mis en place ex nihi­lo, sans rem­pla­cer un ser­vice de trans­port public. Dans beau­coup de villes, le trans­port infor­mel s’est développé en plu­sieurs vagues : d’abord les mini-bus, puis les motos-taxis, etc. Il se renou­velle et se complète perpétuellement, c’est sa grande qua­lité : il est agile et il se « hacke » lui-même en per­ma­nence, trou­vant tou­jours des moyens pour des­ser­vir davan­tage de ter­ri­toires, davan­tage de popu­la­tions. C’est un trans­port non sub­ven­tionné qui fait office de trans­port public ; même si aujourd’hui des négociations sont en cours dans cer­taines villes, comme Dakar, pour développer des modes de sub­ven­tion de nature à cadrer l’exploitation, développer la régularité, etc. La ques­tion de fond est : peut-on bas­cu­ler dans du par­tiel­le­ment sub­ven­tionné ? Si oui, à quelles condi­tions ? Sans omettre le fait que l’informel, le para­tran­sit, adopte des dis­po­si­tions « sociales », comme le tarif enfant pour aller à l’école, ou le trans­port de colis pour les per­sonnes âgées.

 

Pour quelles rai­sons s’est-il aus­si struc­tu­rel­le­ment enraciné ?

Y. A.: La première rai­son, c’est que ce sont des trans­ports très adaptés. Ils sont faciles à mobi­li­ser : dans les villes afri­caines, il y a une moto-taxi à tous les coins de rue, pas besoin d’aller dans une sta­tion. Ils consti­tuent une réponse per­for­mante à l’étalement urbain mas­sif et rapide de ces villes, qui n’a bien évidemment – à de rares excep­tions près – pas été accom­pagné par une offre de trans­port public. D’autant que cet étalement urbain a pro­duit une désarticulation entre les zones d’habitation et les zones économiques, et que la plu­part des cita­dins vivent en périphérie et n’ont pas accès à une offre adéquate de trans­port public for­melle ou conven­tion­nelle pour se rendre sur leurs lieux d’emploi.
La seconde rai­son, c’est que c’est un mode de déplacement bon marché, avec la pos­si­bi­lité pour les usa­gers de négocier les tarifs. Alors que dans le trans­port conven­tion­nel, ce sont des tickets avec des prix fixes. Mais cela est en pleine évolution avec le développement du digi­tal. Il y a une troisième rai­son à son enra­ci­ne­ment : ce sec­teur représente une masse très impor­tante d’emplois directs et indi­rects. Dans des villes de trois à quatre mil­lions d’habitants, on dénombre plus de 20 000 mini­bus et taxis, ce qui représente toute une indus­trie, de très nom­breuses familles. Le sec­teur « nour­rit » une pro­por­tion très impor­tante de la popu­la­tion. C’est ce qui rend leur prise en compte nécessaire par les pou­voirs publics, qui ont long­temps considéré que ces modes n’étaient pas sou­hai­tables, car sales, dan­ge­reux, hors-la-loi, et dont ils vou­laient se débarrasser. Jusqu’à admettre qu’ils rendent un ser­vice que per­sonne d’autre ne rend, qu’ils le font assez effi­ca­ce­ment, et sans deman­der de sou­tien de la puis­sance publique. Et qu’ils emploient énormément de gens.

 

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Pro­pos recueillis par Julien Meyrignac 

Pas­sa­gers de Bus Rapid Tran­sit (BRT) à Lagos, Nige­ria. ©Olu­de­lea­de­wa­le­pho­to­gra­phy/CC-BY-SA

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