Dans les tissus anciens, le renouvellement urbain relève bien souvent du casse-tête. Avec le « zéro artificialisation nette » (ZAN) en ligne de mire, il devient urgent de regarder les potentialités offertes par la ville périphérique du XXe siècle, peu dense, bien que présentant un héritage bâti important et dotée en infrastructures et équipements publics.
À la limite entre Montrouge et Bagneux, dans ce quartier hétérogène composé de grands ensembles et de maisons de ville croisant routes départementales et avenues passantes, la nouvelle station de métro Barbara a été inaugurée en 2022. Sa particularité, 39 appartements ont été construits par la RATP au-dessus de la station. En réponse à un foncier de plus en plus rare, cette opération démontre l’ingéniosité avec laquelle s’opère la densification dans la petite couronne parisienne.
Ces périphéries boudées et stéréotypées (grands ensembles denses et enclavés) constitueront les terrains de production de ville ordinaire de demain. Isabelle Backouche et Nathalie Montel la définissent comme « un tissu urbain somme toute assez banal, à partir d’interventions elles-mêmes plutôt courantes ». Depuis sa création en 2003, l’Agence nationale de rénovation urbaine (Anru) est le principal acteur du renouvellement de ces quartiers. Le premier programme, achevé en 2016, s’est concentré sur la restructuration « dans un objectif de mixité sociale et de développement durable, des quartiers classés en zone urbaine sensible ». 546 quartiers et 4 millions d’habitants ont bénéficié de ce premier programme, qui a conduit à la démolition de 160 000 logements sociaux, la construction de 140 000 logements sociaux et 80000 logements en accession à la propriété, la réhabilitation de 340000 logements et la réhabilitation ou construction de 2 346 équipements publics.
Pourtant, les rapports successifs et articles de presse pointent du doigt un bilan mitigé. Trop de démolitions, pas assez de concertation, l’Observatoire national des zones urbaines (Onzus) souligne, dans un rapport en 2013, la prédominance de la rénovation du bâti au détriment de l’objectif de mixité sociale.
Pour le deuxième programme Anru, lancé en 2016 (460 quartiers, 3 millions d’habitants et 12 milliards d’euros de subvention), les objectifs déclinés font apparaître de nouveaux mots-clés : densité, développement économique, transition écologique. L’Anru apprend de ses erreurs et mise sur l’« à-côté », avec les programmes Anru+, Quartiers fertiles et Quartiers résilients. S’il est trop tôt pour porter un bilan à ce programme qui a débuté en 2014, ces dispositifs ont largement permis de mettre en lumière une nouvelle facette des quartiers.
Un potentiel foncier à exploiter
Par ces deux programmes, l’Anru a participé à la « dédensification » de quartiers considérés comme trop minéralisés et peu dotés d’espaces de pleine terre. À Roubaix, le NPNRU (Nouveau programme national de renouvellement urbain) en cours finance, par exemple, la démolition de bâtiments datant de l’âge d’or de l’industrie textile, afin d’aérer le territoire. Ces quartiers disposent généralement de nombreux espaces libres et vacants. Ils sont, en outre, des lieux privilégiés pour une densification raisonnée. Il est plus facile d’accepter de nouveaux équipements publics volumineux (hôpitaux, établissements scolaires) dans des quartiers où l’état des équipements publics est souvent décrié.
À Bordeaux-Lac, les architectes Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal ont, eux aussi, démontré la pertinence de la densification par le haut. Dans la cité du Grand Parc, ils préfèrent à la démolition la réhabilitation de 530 logements répartis sur trois barres d’immeuble, aux côtés de Frédéric Druot et Christophe Hutin. Ils augmentent ainsi la surface de 50 % sans nouvelle emprise au sol.
« Ces immeubles de banlieue, on les trouve vilains, donc il faudrait les démolir. En réalité, on ne les regarde jamais assez. C’est ça qui est important, raconte Philippe Vassal à la chaîne de télévision Arte. Il faut renverser la façon dont on les voit. Il faut rencontrer quelques familles. » Les appartements de haute qualité disposent de balcons et de jardins d’hiver. « Chacun a droit à un logement de qualité. L’appropriation par les habitants est un facteur de durabilité », souligne Anne Lacaton.
Ces quartiers disposent enfin d’un bâti important. À l’heure de la crise climatique, la sobriété préfère la réhabilitation à la démoli- tion de ces gisements fonciers précieux. L’Anru peine toutefois à l’intégrer dans ses projets. Sophie Picamal, cheffe de projet rénovation urbaine à Bordeaux Métropole, est critique: « La réglementation de l’Anru est en retard, c’est assez paradoxal au moment où elle lance Quartiers résilients. Les règles de financement de l’Anru n’ont pas évolué, les démolitions restent toujours plus financées que les rénovations, qui coûtent elles-mêmes très cher. »
Maider Darricau
Le quartier de la Benauge (50 ha) fait partie du projet de renouvellement urbain Joliot-Curie, à Bordeaux. © J.-B. Mengès/Bordeaux Métropole