Alors que les catastrophes « rapides », car soudaines et brutales, sont généralement suivies d’effets immédiats avec des moyens conséquents déployés pour résoudre la crise, les catastrophes « lentes » sont beaucoup plus complexes à appréhender et à réparer. En effet, plusieurs villes ont réussi leur régénération urbaine après une longue période de déclin, une guerre ou un attentat, alors que le réchauffement climatique est subi sans réactions fortes à la hauteur du sujet.
Face aux catastrophes, la ville, le territoire peut, à l’instar de l’être humain, sombrer ou se reconstruire. C’est le principe même de la résilience. La résilience urbaine n’implique pas de revenir à un état antérieur, mais de se reconstruire sur la base de ce qu’on est, en accord avec la définition psychologique du terme.
En ce sens, il n’y a ni ville ni territoire résilient, mais des attitudes résilientes sur divers registres. Certains territoires sont résilients en matière sociale, d’autres sur le plan économique, mais quasiment aucun ne l’est dans sa globalité et c’est justement le problème. Les différentes approches de la résilience, notamment sociale et environnementale, rentrent souvent en contradiction les unes avec les autres et sont généralement assez strictement sectorielles. Par ailleurs, la résilience prend appui sur l’identité du territoire, seul moyen de se reconstruire et d’assumer ses forces et faiblesses en jouant sur le registre qui est le sien. Comme l’être humain après un choc, un territoire peut sortir renforcé par l’épreuve et trouver l’énergie pour se reconstruire et se réinventer sur la base de ce qu’il est intrinsèquement.
L’analyse des catastrophes rapides comme levier de la recomposition urbaine est sans doute davantage documentée que celle des catastrophes lentes, à l’exemple de celle qui se dessine pour le réchauffement climatique et ses probables conséquences en cascade. Si la catastrophe rapide est souvent à l’origine de rebond, de stratégie et d’action urbaine, avec un passage à l’acte efficace, c’est moins vrai des catastrophes lentes comme l’illustre bien l’anecdote de la grenouille qui s’échappe rapidement quand elle est plongée dans l’eau bouillante, mais se laisse cuire quand l’eau chauffe lentement.
Nombre d’exemples montrent qu’il faut souvent tomber bas (subir des bombardements, des krachs économiques, etc.) pour entreprendre un projet urbain au sens fort du terme (a vision, comme disent les Anglo-Saxons), qui soit ambitieux et porteur de risques financiers, politiques et sociaux. Les villes, dont la régénération urbaine a été significative, ont souvent eu « le dos au mur ».
Ainsi, Gênes avait perdu 200 000 habitants en trente ans, avant de reconvertir son vieux port et redorer son blason. Birmingham, deuxième ville de Grande-Bretagne, était devenue la risée du pays, perdant sa beauté (démolie par la guerre, enlaidie par une reconstruction ratée) et voyant décliner une économie fondée sur l’automobile, avant de se réinventer en destination de tourisme d’affaires et de s’embellir par la reconquête des canaux et des opérations de commerces haut de gamme. Bilbao s’est, quant à elle, renouvelée à travers l’art avec le mondialement réputé musée Guggenheim, qui a prolongé dans son sillage une rénovation urbaine spectaculaire entreprise de longue date.
L’Emscher Park face aux catastrophes économiques et écologiques
D’autres exemples mériteraient d’être exposés plus en détail, comme le renouveau du bassin minier autour de Lens. Mais l’Emscher Park, dans la Ruhr, reste l’exemple phare. Ce territoire de 70 km de long et 20 km de large, marqué par l’industrie minière et sidérurgique, a connu un taux de chômage désastreux au début des années 1980. Lors de la décennie suivante, sous la houlette de Karl Ganser, haut fonctionnaire entrepreneur, l’Emscher Park s’est donné pour objectif d’attirer les nouvelles économies tout en assumant complètement son identité industrielle. La structure Internationale Bauausstellung Emscher Park (IBA) est alors créée en 1989 pour une durée de dix ans. Dirigée par Karl Ganser, elle est désignée par le Land [de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, ndlr] et dotée des moyens d’assistance à maîtrise d’ouvrage pour dynamiser la reconversion.
Ainsi, le parc Duisburg-Meiderich, conçu par Peter Latz, inaugure une nouvelle esthétique qui aborde le lieu dans sa spécificité. Les vestiges d’usines sont alors traités soit comme des œuvres d’art, des lieux de vie, soit comme des éléments archéologiques. Et nombre de sites industriels ont été convertis en lieux culturels – avec une forme de brutalisme, conservant les murs et la structure, mais introduisant des équipements sophistiqués contemporains – avec l’écologie comme fil conducteur du projet.
L’IBA Emscher Park est une des rares démonstrations holis- tiques d’une approche écologique dans toutes ses dimensions, engagée dans une charte claire qui induit de ne pas construire sur terrain vierge en réutilisant systématiquement les sites déjà urbanisés et leurs bâtiments – les seules infrastructures nouvelles concernent le rail. Cela a permis de régénérer sols et rivières longtemps pollués par l’activité industrielle, de gérer l’écoulement naturel des eaux, d’utiliser des matériaux écologiques, sans oublier les questions sociales en favorisant l’intégration des diversités.
Ariella Masboungi
Vue panoramique du parc paysager Duisbourg-Nord, bâti sur le terrain industriel des hauts-fourneaux et des houillères de Thyssen-Meiderich, à Duisbourg, en Allemagne. ©Carschten Disk/Cat/CC-BY-SA‑3.0