Les disparités de genre dans la ville états-unienne

Depuis sa création, le territoire urbain états-unien est un lieu d’exclusion et de résistance pour les femmes et les minorités sexuelles. Fondée sur des disparités et des injustices spatiales implantées dans le tissu social, politique et économique, la précarité de l’habitat et de l’emploi a été renforcée par la pandémie.

 

Étudier la façon dont le ter­ri­toire genré est pro­duit aux États-Unis per­met de mettre en lumière deux constantes : la construc­tion de l’espace urbain par le genre, et le fait que les identités de genre sont marquées par le ter­ri­toire. En s’intéressant à l’histoire de ce pays dans une pers­pec­tive de genre, nous consta­tons que la ville états-unienne est construite par une his­toire cultu­relle et de rela­tions de pou­voir spécifiques. Dès le XIXe siècle, le fait de « vivre en ville » donne aux femmes un sta­tut spécifique, un « devoir » spa­tial selon Jac­que­line Cou­tras, celui d’assurer le bon déroulement de la vie à l’intérieur de l’espace-temps du logis. C’est en quelque sorte une pro­lon­ga­tion de l’idéal de la Repu­bli­can Mothe­rhood, qui définissait le rôle des femmes et des mères pen­dant et après la révolution [1765–1783, NDLR], comme celui de fabri­quer de bons citoyens. Avec le début de l’ère du sala­riat, les femmes sont séparées des hommes. Elles ont inter­dic­tion de pra­ti­quer cer­tains métiers dans diverses cor­po­ra­tions et de suivre des études supérieures.

Home, une double signi­fi­ca­tion qui enserre 

Rapi­de­ment dans la classe moyenne nais­sante, émerge le « culte de la domes­ti­cité ». L’ordre à la mai­son est censé encou­ra­ger le res­pect de l’ordre dans la société dans un pays ou home signi­fie à la fois le foyer et la nation. Les choses sont bien sûr différentes pour les femmes noires qui, quoique cantonnées à des tra­vaux de domes­tiques dans les villes du Nord comme du Sud, ont accès plus tôt et plus tota­le­ment à l’espace extérieur. Il est intéressant de noter que la plu­part des activités rémunérées autorisées aux femmes au XIXe siècle, toutes classes sociales confon­dues, sont des activités qui se pra­tiquent de chez soi. Or, c’est para­doxa­le­ment l’idée que les femmes sont avant tout « femmes au foyer » qui va per­mettre l’accès à un cer­tain nombre de ces dernières à l’espace public. Les femmes de l’ère pro­gres­siste, à par­tir de la fin des années 1890, emploient l’association idéologique faite entre féminité et maternité/domesticité. Grâce à des mou­ve­ments tels que le muni­ci­pal hou­se­kee­ping, elles prennent ain­si part à un cer­tain nombre de débats présents sur la scène poli­tique pro­gres­siste et mettent en œuvre un pro­gramme de « ges­tion domes­tique des municipalités » des­tiné à trans­for­mer les espaces urbains, la poli­tique et les ser­vices publics.

Au XXe siècle, la dicho­to­mie genrée intérieur/extérieur se double d’une séparation sociale et eth­nique, mais émane également d’une volonté poli­tique. Dans les années 1920, l’invention de l’automobile conduit à la prolifération des ban­lieues pavillon­naires, expres­sion d’une Amérique fondée sur la mai­son, la famille et la terre. Dans les années 1950 et 1960, ces ban­lieues sont habitées par une classe moyenne blanche qui fuit les centres-villes (white flight), à leur tour inves­tis par la nou­velle classe moyenne noire issue du com­bat pour les droits civiques. C’est dans ces espaces où les mères assignées à domi­cile, que décrit Bet­ty Frie­dan dans The Femi­nine Mys­tique, élèvent leurs enfants contrai­re­ment aux mères soviétiques qui « aban­donnent » les leurs à des crèches publiques. Que le mythe d’une nation « de ban­lieues » cor­res­ponde ou non à la réalité de toutes les femmes américaines des années 1950 aux années 1980, il est clair que cette image, qui a façonné l’imaginaire américain, a construit l’environnement urbain et influencé les urba­nistes durant des décennies.

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Lau­rence Gervais

Pho­to­gra­phie : Sta­tue géante (8 m de haut) de Mari­lyn Mon­roe, du sculp­teur Seward John­son, repré­sen­tant une scène célèbre du film 7 ans de réflexion (de Billy Wil­der), Michi­gan ave­nue, Chi­ca­go. © Lau­rence Gervais

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