Oser parler d’urbanisme féministe

Le terme « urba­nisme féministe » semble faire peur. Trop radi­cal ? Trop mili­tant ? Trop connoté ? Ten­ta­tive de définition en s’appuyant sur des exemples de pays, autres que la France, qui l’ont adopté.

Urba­nisme féministe, terme choi­si aus­si bien en Espagne qu’en Amérique latine, fait sou­vent grin­cer des dents, tant il évoque pour cer­tains la radi­ca­lité, le « wokisme », la ville genrée, la dis­cri­mi­na­tion posi­tive, etc. Des réserves qui émaneraient autant de femmes que d’hommes. Pour­tant, il est reven­diqué en tant que tel par nombre d’acteurs de la ville échappant à toutes ces accu­sa­tions, et cela pour faire la ville meilleure. Oser les termes directs, moins nuancés et plus radi­caux est sou­vent bien­fai­teur pour échapper à la « nov­langue », aux posi­tions molles et aux détours inefficaces.

Par­ler d’urbanisme féministe peut paraître exces­sif dans des villes européennes où la démocratie est d’actualité, où le droit des femmes est recon­nu, voire affirmé dans de nom­breux textes européens récents – dont cer­tains évoquent le rôle des femmes dans la ges­tion urbaine –, et où la femme a droit de cité dans l’espace public, contrai­re­ment à nombre de pays, dont ceux du Magh­reb (où les cafés sont occupés exclu­si­ve­ment par des hommes), sans par­ler de l’oppression subie par les femmes en Iran, en Afgha­nis­tan ou en Ara­bie Saoudite.

Ten­tons de définir ce que serait un urba­nisme féministe en Europe et dans d’autres pays démocratiques où cette démarche semble acces­sible. Ce n’est définitivement pas syno­nyme de pro­duc­tion d’espaces « genrés » ; la notion serait plutôt fon­da­trice d’une ville pour tous. La ville serait-elle faite pour les hommes actifs cir­cu­lant en voi­ture, comme l’affirme Eli­sen­da Ala­ma­ny, élue muni­ci­pale et de l’aire métropolitaine bar­ce­lo­naise? L’urbanisme féministe échapperait à la vision domi­nante, sous-jacente à nombre de normes, d’habitudes et modes de faire. Il serait moins « andro­centré » et fon­de­rait une démarche s ́ins­cri­vant dans une volonté d ́égalité. Cette approche féministe serait favo­rable à la prise en compte de tous, plus proche des usages qui évoluent à vitesse grand V. Cet urba­nisme vise­rait à être assumé non seule­ment par les femmes, mais par tous, et notam­ment par les décideurs, les ser­vices, les pro­fes­sion­nels et les élus.

Dans cette pers­pec­tive, com­ment pen­ser la com­plexité des usages, la sécurité, le confort de la ville, la faci­lité des trans­ports de toute nature ? Autant de ques­tions qui tra­versent les enjeux et méthodes d’une équipe dédiée à ce sujet, comme l’est le col­lec­tif Punt 6 (lire inter­view p. 53) qui exerce tant dans l’aire régionale bar­ce­lo­naise que dans bien d’autres ter­ri­toires, comme l’Amérique latine et l’Afrique du Nord, sou­vent en com­pli­cité avec des élues muni­ci­pales et métropolitaines qui tentent de mettre en œuvre un urba­nisme concerté, moins mono­centré sur des usages tra­di­tion­nels (sans doute dépassés), plus convi­vial, par­ti­ci­pa­tif et fécond, allant du banc public à la manière de repen­ser l’habitat post-Covid.

L’urbanisme féministe est sans doute l’un des grands sujets de demain, même s’il est étudié de longue date dans les « gen­der stu­dies » et fait l’objet de nombre d’études et d’expériences en Ita­lie, pays qui a peut‑être ini­tié le sujet avec ses «bureaux du temps», en France, en Espagne, en Autriche, au Cana­da, en Amérique latine et ailleurs.

Ariel­la Masboungi 

 

Illus­tra­tions : Cartes sen­so­rielles de Bor­deaux (diurne, à gauche, et noc­turne, à droite) avec les zones ave­nantes pour les femmes, en vert, et les zones repous­soirs, en rouge. Extrait du rap­port L’usage de la ville par le genre, publié en 2011 et copro­duit par a‑urba et l’Ades-CNRS. © a‑urba/Sylvain Tastet

 

 

Lire la suite dans le numé­ro 429

 

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