Mathilde Chaboche : « Soit je quittais Marseille, soit je restais pour m’engager »
Spécialiste du développement urbain dans des villes de pays émergents, Mathilde Chaboche ne se destinait pas à devenir élue de la cité phocéenne. Nommée en 2020 adjointe au maire, en charge de l’urbanisme et du développement harmonieux de la ville, celle qui se définit comme sociologue-urbaniste poursuit une trajectoire iconoclaste dans un contexte urbain hautement complexe, avec pour ligne de conduite le « retour scrupuleux à la règle ».
Vous êtes, depuis juin 2020, élue de la majorité municipale du Printemps marseillais, qui porte un projet écologique, démocratique et de justice sociale à Marseille. Issue de la société civile, cofondatrice du collectif citoyen Mad Mars, vous exercez, depuis deux ans et demi, le mandat d’adjointe au maire en charge de l’urbanisme et du développement harmonieux de la ville. Pourriez-vous évoquer ce qui, dans votre histoire personnelle, votre parcours académique et professionnel, vos engagements, vous a amenée à vous présenter aux élections et à accepter ces responsabilités ?
Je suis originaire de banlieue parisienne. J’ai fait des études littéraires et à Sciences-Po Paris, orientées sur les problématiques des pays en voie de développement, et très vite spécialisées sur celles du développement urbain des villes de ces pays. Je suis d’abord partie à l’étranger pour me consacrer aux enjeux de réparation de villes très abîmées par le mal-développement chronique ou par les crises humanitaires. J’ai développé une culture de l’urbanisme de débrouille, pieds dans la glaise avec les habitants, au Pérou, au Maroc… Puis j’ai travaillé pour Bertrand Delanoë, à Paris, comme responsable de la coopération avec des capitales ou grandes villes du monde arabe, d’Amérique latine et des Caraïbes. Dans ce cadre, j’ai forgé des compétences en urbanisme opérationnel dans des situations de crise urbaine et sociale.
Je suis arrivée à Marseille, il y a dix ans, avec l’objectif professionnel de me rapprocher d’enjeux très locaux et le désir personnel de m’ancrer dans un territoire. J’ai travaillé en politique de la ville au sein de l’École centrale de Marseille, qui a la double particularité d’être la grande école du territoire et d’être située dans les quartiers nord, avec une feuille de route qui était : Que peut faire d’utile cette grande école pour le territoire qui l’accueille ? Nous avons mis en place des programmes de tutorat des étudiants pour les jeunes des quartiers prioritaires, mobilisé des entreprises pour qu’elles les accueillent en stage de 3e. Nous avons développé des formations autour de l’accès aux sciences, conçus comme vecteurs d’émancipation, notamment pour les jeunes filles issues des milieux populaires. Et nous avons mis en place une formation diplômante pour de jeunes adultes avec des parcours de vie parfois compliqués. J’ai travaillé sur les enjeux sociaux de l’urbain et forgé des convictions : les politiques publiques se concentrent trop sur le hard – les infrastructures, le bâtimentaire – et pas assez sur le soft, l’animation sociale, l’accompagnement éducatif et économique. Elles n’attaquent pas les racines structurelles de la pauvreté.
C’est une critique que l’on peut adresser à l’Agence nationale de la rénovation urbaine (Anru) ?
Complètement. Je pense que l’Anru est une politique assez datée dans sa conception, très tournée sur l’effort de construction, et qui oublie qu’il y a des vraies gens qui vivent dans ces quartiers. Cela ne suffit pas de leur demander leur avis sur ce qu’on fait de leur quartier; il faut travailler avec eux sur les conditions de leur émancipation économique et sociale. Le but, ce n’est pas que tous ceux qui naissent dans les quartiers prioritaires aient un jour un logement social, c’est qu’ils n’aient pas besoin d’un logement social, parce qu’ils seront dans des trajectoires personnelles émancipatrices. Pour revenir aux raisons de mon engage- ment, mes enfants sont nés à Marseille et, comme beaucoup de parents, je me suis demandé, comment fabriquer un environne- ment meilleur pour mes enfants qui vont y grandir ? J’étais – cela est ancré dans mon histoire familiale – en quête d’utilité et je me demandais comment mettre au service d’une ville aussi grande – dont l’histoire, les enjeux, le nécessaire projet me dépassent – ce que je suis, les compétences que j’ai acquises, la chance que j’ai eue de faire des études…, comment me rendre utile au commun. Puis, le 5 novembre 2018, il y a eu l’effondrement de la rue d’Aubagne, qui a été pour moi un vrai moment de bascule. Je me suis sentie dévastée par cette tragédie, notamment en raison de la compréhension que j’avais des racines de tout ça, au-delà des raisons géotechniques, de l’état d’abandon des immeubles. J’ai acquis la conviction que ce drame était aussi le produit d’une gouvernance politique déviante, pas sérieuse.
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Propos recueillis par Julien Meyrignac
Crédit photo : Anthony Carayol