Dans ce pays fait de cantons très autonomes, deux choses détonnent par rapport au cadre français : d’une part, une loi fédérale très stricte dans son engagement pour la préservation des sols (déjà bien préservés par une loi décrétant depuis la Seconde Guerre mondiale l’autonomie alimentaire, traduit en 1992 par un plan sectoriel des surfaces d’assolement sacralisant les terres agricoles) et, d’autre part, l’existence depuis 1943 d’une structure financée par tous les cantons, EspaceSuisse, qui est au service de qui en a besoin et, bien évidemment, surtout les communes les plus démunies en termes d’ingénierie.
Pour en rajouter une couche, on peut aussi citer une nouvelle disposition qui établit une forme de péréquation entre ceux qui gagnent et ceux qui perdent. En effet, la Suisse doit ménager ses sols naturels avec la révision de la loi sur l’aménagement du territoire (LAT) en 2014, qui propose un changement de paradigme en traçant une « ligne bleue » imposant le « développement vers l’intérieur », donc la densification, la reconversion et la réhabilitation. Tout projet d’aménagement doit verser une partie de sa plus-value (minimum 20 %), les cantons pouvant les verser pour financer les autres actions urbaines et notamment dans les territoires qui sont en panne de financement pour se recomposer.
EspaceSuisse, selon l’un de ses « urbanistes aux pieds nus », Alain Beuret, offre des prestations ponctuelles gratuites (s’il s’agit d’un diagnostic rapide) ou payantes à toute commune adhérente qui le demande, en termes de conseil stratégique mais aussi d’aide à élaborer des projets. Le rôle de la structure, financée par la Confédération, tous les cantons et une grande partie des communes, est d’établir des diagnostics d’immeubles ou de villes, de nourrir le territoire concerné d’idées et de pistes de travail, parfois déroutantes localement, de faire débattre élus et habitants pour parvenir à des consensus et à des projets structurants. Se développent à présent ce qu’Alain Beuret appelle des « Ateliers villages », lieu d’échanges et de coproduction. EspaceSuisse prend appui sur des consultants extérieurs et, pour la réalisation, sur des investisseurs, parfois inattendus, pour réhabiliter des logements existants ou pour convertir un ancien gymnase en lieu de vie et logements à Tinizong, dans les Grisons, qui a bénéficié de financements participatifs. Autre atout : la capacité des communes à créer une « agglomération », car toute commune peut y prétendre si elle réunit avec ses voisins plus de 10 000 habitants, d’autant que les fusions communales sont foison.
Comme le souligne Alain Beuret : « Ce qui est important, c’est le regard extérieur – les petites communes sont souvent démunies – qui débloque les situations. La participation permet aussi de remettre des sujets sur la table et de rouvrir des anciens dossiers, dont il n’était plus possible de parler. »
Le contexte des territoires peu denses est varié au regard du développement différencié de la Suisse, où la perte de population se manifeste surtout au Sud-Est. Mais l’offre de transports centrée sur le local et le maillage cadencé du territoire – à l’inverse de la France qui a parié sur le TGV et les longues distances –, rend plus aisée la vie dans les bourgs et territoires moins denses. Sans compter que les transports bénéficient d’une tarification globale à l’année permettant de voyager librement sans billets, et qu’ils sont articulés avec Mobility (plateforme d’autopartage), les vélostations pour le stationnement des vélos et le vélopartage. Les gares y sont des lieux majeurs dotés de services, voire d’équipements, et jouent un rôle de centralité sur tout le territoire. Créer des lieux de rencontre est l’un des leitmotivs de l’équipe pour aider à mieux vivre dans les territoires peu denses, tout en valorisant le patrimoine, réhabilitant l’existant sans passéisme aucun et nourrir les imaginaires locaux par des études in situ et la référence à ce qui a été réussi dans des situations comparables, capitalisées dans le site de l’association. Ce savoir-faire suisse peu connu mérite largement de contribuer à la nécessaire mise en relation des démarches européennes, qui est un atout majeur de nos territoires.
Tinizong, village de montagne de 300 habitants, pâtit de l’exode rural, du vieillissement de la population et de la disparition des services de base. EspaceSuisse a conseillé la commune et animé un atelier avec la population locale.
L’ancienne salle de gym s’est muée en un nouveau lieu de rencontre, La Scuntrada, un restaurant doublé d’une petite épicerie.
Au centre du village, de vieilles étables ont été transformées en logements modernes par un architecte zurichois.
Par Ariella Masboungi, avec la contribution de Guillaume Hébert
Photo : ©Annemarie Straumann