Avec l’inscription du « zéro artificialisation nette » dans la loi climat et résilience de 2021, le Code de l’urbanisme a été modifié dans la foulée pour se conformer à ce nouvel objectif, avec plus ou moins de succès. Entre injonction et réalité de terrain, de quoi le ZAN est-il le nom ?
« Un cas d’école », c’est le sort le plus glorieux que l’on puisse souhaiter au « zéro artificialisation nette » (ZAN). L’analyse d’un dysfonctionnement managérial dans une université californienne avait pu faire référence, dans les années 1970, pour théoriser le garbage can model, une pratique décisionnelle emblématique des « anarchies organisées », comme les appelleront les sociologues. Le ZAN devrait, sans peine, formaliser une situation d’implosion cognitive du travail législatif, généré par la multiplication de scènes de négociations spécialisées, dotées de leurs propres ordres du jour et listes de participants. La « zanitude » (on laissera la « zânerie » pour les plus mauvais esprits) fonctionnerait alors comme un processus incrémental inversé, chaque complément apporté à l’élaboration en cours amplifiant les approximations, erreurs ou apories initiales de la démarche.
Quand la représentation nationale s’interroge doctement sur la part de plantations ligneuses que doit accueillir un terrain pour être qualifié de non artificialisé ; quand toute terre cultivée se voit jugée non artificialisée, quel que soit son mode d’exploitation, sans aucune protestation écologiste : oui, l’implosion cognitive est caractérisée. Quand l’irraisonnable évidence du chiffre rond fait accorder à toutes les communes françaises une « garantie » d’un hectare de développement : oui, l’implosion cognitive se poursuit. Qui peut croire que nous sommes encore dans un schéma de construction de politique publique mettant des moyens convergents au service d’un objectif explicite ?
Cette proposition conceptuelle méritera quelques réflexions supplémentaires pour être étayée. Elle ne siffle de toute façon pas la fin de partie. Car les acteurs, forcément de bonne volonté, n’en continuent pas moins de tenter d’agir. L’implosion cognitive ne les tétanise pas ! « Ces évènements nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs », écrivait déjà François Ascher en paraphrasant Jean Cocteau. Aussi s’émerveille-t-on du dynamisme mis par le petit monde de l’urbanisme et de l’aménagement pour récupérer l’affaire ZAN, façon business as usual : chasser les gisements fonciers, collecter de l’argent pour recycler les friches, réclamer des incitations fiscales, œuvrer avec constance à l’« acceptabilité » de la densification.
Aussi soutient-on l’optimisme des bureaux d’études qui veulent voir dans le ZAN le « banc d’essai » de la planification écologique, espérant sortir ainsi de décennies d’« épuisement schématologique ». Mais tout cela aurait-il pu se passer autrement ? Le monde, en particulier celui des vers de terre, aurait-il pu être traité avec plus d’égards? Rembobinons la pellicule et imaginons un autre film.
Changement de décor
Années 2010, l’Europe encourage à lutter contre l’imperméabilisation des sols. Prolongeant les préoccupations de lutte contre la désertification, les Nations unies intègrent dans les Objectifs de développement durable (ODD) la Land Degradation Neutrality, visant l’arrêt des déforestations et des pratiques agricoles intensives qui épuisent les sols. La stratégie française pour la biodiversité de 2018 se donne, quant à elle, pour ambitions de limiter la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (NAF), mais aussi de restaurer la nature et de créer de nouvelles aires protégées, de faire de l’agriculture une alliée de la biodiversité, de préserver la biodiversité des sols.
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Jean-Marc Offner
Les membres de la Convention citoyenne pour le climat, dans l ’hémicycle du Conseil économique, social et environnemental, à Paris, 7 février 2020. ©GodefroyParis/CC-BY-SA‑4.0