Dans ce département français de l’océan Indien, plus de la moitié de la population vit en bidonville et les nombreux freins à la construction de logements s’accumulent. Face au manque de ressources, l’innovation apparaît comme la seule planche de salut.
Pour l’État français, l’intérêt géostratégique que Mayotte représente est évident : situé près du canal du Mozambique, la « voie du pétrole », l’île accueille aussi une base militaire et une zone d’écoute de premier plan dans ce territoire en proie au terrorisme. Mais la réciproque n’est pas évidente : les situations économique, sociale, sanitaire et environnementale sont alarmantes, voire explosives ; à se demander ce que l’État a fait et compte faire pour son 101e département.
Loin des caméras, loin du cœur. L’opération Wuambushu, critiquée en métropole pour sa seule dimension répressive, a permis, au moins, de rappeler aux métropolitains qui l’avaient oublié que Mayotte est bel et bien un département français, et ce, depuis 2011, au terme d’un long processus législatif et référendaire. Un département pauvre, le plus pauvre du pays même (trois quarts de ses habitants vivent sous le seuil de pauvreté, cinq fois plus qu’en métropole), mais aussi le plus jeune (la moitié de la population étant âgée de moins de 18 ans) et l’un des plus densément peuplés.
Au cours des dernières décennies, Mayotte a dû faire face à un véritable boom démographique. Plus de 300 000 personnes vivent aujourd’hui sur ce territoire de 376 km². Très loin des 23 000 âmes que comptait l’île dans les années 1950. Cet accroissement s’explique à la fois par un taux de natalité élevé (près de cinq enfants par femme en moyenne) et une immigration importante, venant majoritairement des Comores; un archipel dont Mayotte constituait l’un des ensembles et dont l’État français a reconnu l’indépendance en 1975. Restée quant à elle française, Mayotte représente, depuis, pour la population comorienne – l’une des plus pauvres du monde – l’espoir d’une vie meilleure.
Totem, le projet qu’on n’attendait plus
« C’est une crise du logement plutôt qu’une crise migratoire », commente Cyrille Hanappe, cofondateur d’AIR Architectures. Son agence a été retenue par le Plan urbanisme construction architecture (Puca), en juin 2022, dans le cadre du programme expérimental Totem (« Un toit pour tous en outre-mer »). Porté par les ministères des Outre-mer et de la Transition écologique, cet appel à propositions vise à résorber l’habitat précaire sur l’île, où plus de la moitié de la population vit dans des bidonvilles, en créant de nouveaux modes constructifs, économiquement viables et duplicables à grande échelle. Les habitations, de 70 m² environ, doivent mobiliser un maximum de ressources locales, afin de réduire les coûts de construction.
L’architecte et ses équipes ont imaginé un modèle constructif constitué de petits bois manuportables et prédécoupés par un industriel réunionnais pour la structure et la charpente, de briques de terre compressées pour le remplissage des murs, et de tôle ventilée blanche en toiture. Une enveloppe considérée comme soutenable par l’État a été établie, il y a plus de deux ans, à 90 000 euros (hors fondation), contre près de 200 000 euros nécessaires actuellement pour une construction classique. Pour Cyrille Hanappe, le montant annoncé paraît trop optimiste : « En deux ans, les prix des matériaux de construction ont tellement augmenté qu’il est très compliqué de sortir une maison à moins de 130 000 euros, fondations comprises. » En cause notamment, le béton, nécessaire à la réalisation des dalles fondatrices, difficilement remplaçable, et qu’il faut importer.
Moussa Attoumani, directeur du développement en charge des constructions neuves de la Société immobilière de Mayotte (SIM), confirme : « La différence est considérable entre les prix affichés en 2016, soit 1 570 euros/m2 habitable, et les 3 000 euros d’aujourd’hui. Dans ces conditions, impossible de lancer les travaux. Nous devons constamment négocier et retravailler les projets. » À la SIM, principal bailleur et constructeur de logements sociaux de l’île (avec un parc immobilier de 2720 logements locatifs, dont 1 161 sociaux au 31 juillet 2023), on se réjouit du retour des aides publiques. Depuis sa création, dans les années 1970, et durant une trentaine d’années, la société a construit près de 18 000 « cases SIM », maisons en dur vendues en accession sociale à des prix extrêmement bas et destinées aux ménages les plus démunis. Jugée trop coûteuse par l’État français, la production des cases a été stoppée en 2004.
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Julie Snasli
À Mayotte, le relief à risque constitue un frein majeur à la construction neuve. ©SIM